Chroniques de Jah

Départ

Elle avait couru jusqu'à ne plus pouvoir, essouflée. Les hideuses chaussures roses qu'on l'avait forcée à porter étaient restées sur la colline qui dominait la propriété familiale, elle avait arrachée sa jupe pour ne garder que le jupon, qu'elle avait remonté sur ses cuisses afin qu'il n'entrave pas sa course. Elle avait dépouillé son corsage des fanfreluches ridicules qui l'encombrait, crevé les manches bouffantes. Au bout de quelques heures de course, elle avait marché, puis repris sa course, ainsi de suite jusqu'à ce qu'elle ait rejoint la ville principale d'Azur, un petit village cossu, où elle n'avait jamais mis les pieds. Jah s'était faufilée jusqu'à l'armurerie, avait trouvé une tenue plus simple et plus pratique. Elle avait finalement rejoint la guilde des guerriers, où il lui paraissait probable qu'elle trouverait un maître pour l'aider à accomplir ce qu'elle voulait croire être son destin. Affamée, déboussolée, c'est une des maîtresses d'armes qui l'avait prise sous son aile, lui donnant quelques pièces pour se nourrir et lui indiquant l'académie des guerriers, pour son premier entraînement.

Malgré sa situation précaire, l'incertitude qui régnait dans son esprit, Jah ressentait une joie profonde de s'être libérée de sa vie : de cette famille pleine de bassesse qui l'avait malmenée depuis l'enfance, de cet odieux mariage organisé pour elle. Elle ne remettrait pas les pieds là-bas, et elle savait qu'elle ne manquerait à personne, une fois la déception de ses parents de ne pouvoir faire une alliance avantageuse passée. N'ayant rien à perdre et tout à gagner, face à un avenir plus qu'obscur, elle s'était lancée à corps perdu dans son entraînement. Ses longues bagarres avec ses frères, leurs duels à coups de bâton et de tout ce qui leur tombait sous la main, lui furent d'une grande aide et en quelques semaines, elle reçut l'aval de son maître : elle allait pouvoir quitter l'académie d'Azur, prendre le bateau jusqu'à Gludin et rejoindre le continent, après son adoubement en tant que chevalier. De retour en ville, elle tâcha de demeurer à l'écart de la place centrale en attendant l'heure d'arrivée de son bateau. C'est alors qu'elle rencontra Kahirym, ou plutôt qu'il la trouve, assise derrière une caisse, tendant de se faire discrète. Elle rit pour elle-même, se rappelant son odieux petit sourire narquois et leurs reparties cinglantes.

Après s'être copieusement disputés, ils étaient parvenus à accorder leur violon pour une brève chasse, jusqu'à ce que la voile du bateau apparaisse au loin. Pendant que le lourd navire cinglait vers le large, Jah, tournée vers les côtes d'Azur, disait aurevoir à son passé, prête à affronter son avenir et à s'exprimer librement, avec autant de franchise qu'il lui semblerait bon. C'en était fini de la vie de domestique, des robes et de l'obéissance forcée. Elle ne se laisserait plus faire, ni par les hommes, ni par les autres. Et elle suivrait sa voie, faisant ce qui lui semblait juste, et non ce que d'aucuns considèrent comme le bien.

La minuscule terre disparut doucement et Jah se tourna vers la proue, souriante. Elle plissait les yeux, les meurtrissait sans pitié pour apercevoir en fin cette terre d'espoir qu'elle souhaitait rejoindre depuis bien des années. Kay était installé contre un bastingage, l'air nonchalant comme à son habitude. Bien qu'il l'énervasse au plus haut point, elle sentait en son âme qu'il faisait dorénavant partie de son présent comme de son avenir. Il n'était pas encore un ami, mais il était déjà un compagnon de fuite et de rire.

Découverte et initiation



Depuis qu'elle avait quitté Azur, Jahynm n'avait guère eu de temps pour lire ou pour écrire. Son temps avait été partagé entre la chasse, la taverne et la glande, il faut bien le dire. Il faut également reconnaître que la rencontre avec Kahirym avait un peu changé la donne : la mauviette avait besoin d'attention et surtout de surveillance. La découverte du continent avait été pleine de surprises excitantes. Elle sourit légèrement à cette pensée, au souvenir de leurs cavalcades entre les passeuses, de leurs quêtes données par leur maître respectif. La pensée de ne pas être seule, d'avoir auprès de soi, un ami, était la plus réconfortante pensée qu'elle ait jamais eue. Pour écrire, elle s'était installée dans la monumentale bibliothèque de Rune, qui, lorsqu'elle l'avait découverte, avait suscité en elle le frisson de plaisir que le gourmand éprouve face à une montagne de friandises. L'endroit lui plaisait : l'air y était frais et planait dans l'atmosphère, le parfum de la connaissance et du vieux livre précieux. Le silence était un précieux allié, qui se faisait rare autour d'elle ces derniers temps : il fallait bien que l'absence de solitude ait quelques inconvénients. Du coin de l'oeil, elle observait les prêtres affairés à leurs bureaux, triant les ouvrages avec soin. Cette vie recluse ne lui aurait certes pas plu, mais elle sentait dans chacun de leurs gestes, cet amour du travail bien fait qu'elle aimait à éprouver elle aussi.


Depuis que Kay et elle-même étaient arrivés, le temps s'était écoulé à grande vitesse. De ville en ville, de rencontres en rencontres, Jah avait le sentiment d'avoir vieilli de plusieurs années, tant ces dernières semaines avaient été riches.

Son apprentissage lui prenait beaucoup de temps, certes et elle avait trouvé avec bonheur de nouveaux maîtres pour lui enseigner l'art de la chevalerie. Elle se souvint avec un petit frisson du choix qu'elle avait eu à faire, une semaine plus tôt, sur l'orientation qu'elle devait donner à son maniement de la magie et de l'epée. Elle ignorait toujours si le chemin qu'elle avait choisi d'arpenter était le bon, et s'il était celui qui servait au mieux ses intentions. Mais elle ne comptait en aucun cas faire demi-tour. Elle se souviendrait longtemps du long entretien avec son maître sur le terrain d'entraînement, après le combat : il lui avait présenté ses deux options : devenir paladin ou chevalier vengeur. A vrai dire, elle avait peu hésité : elle voulait se venger. Elle avait gardé trop de colère pendant les cinq dernières années de sa vie en Azur, trop de frustrations, vivant au milieu de mentalités frustes, de gens poussés par l'égoïsme et l'appât du gain, enfermés dans leur médiocrité et leur intolérance. C'était pour elle une libération de choisir de son plein gré un chemin peu ordinaire pour faire exister ce en quoi elle plaçait ses espoirs : un monde de justice, d'ouverture et d'élévation morale. Son maître l'avait mise en garde que la voie qu'elle avait empruntée ne lui accorderait pas forcément une reconnaissance pleine et entière, mais, il s'agissait pour Jah d'un obstacle supplémentaire à franchir pour faire valoir ses idéaux et bousculer les préjugés. Son choix s'était finalement révélé positif, car elle possédait de réelles facilités pour créer des sorts : elle se plaisait à croire que sa connaissance de la broderie et du tricot n'y était pas étrangère : comme quoi, même les choses les plus inutiles peuvent trouver un usage un jour. Elle avait rapidement compris comment tisser autour de ses ennemis des sorts pour les bloquer au sol, ou pour créer en eux la peur, de même qu'elle parvenait à tisser autour d'elle une barrière mentale. Quand elle se concentrait, des fils de lumière, tantôt clairs, tantôt noirs, apparaissait dans son esprit, et il lui suffisait de les rassembler pour les lier et y faire circuler sa magie.


Elle ne maîtrisait pour l'instant que des sorts simples, mais voyait le monde avec d'autres yeux : elle avait appris à aspirer l'énergie propre à ses ennemis. Elle percevait maintenant une sorte d'aura autour des créatures, et au prix d'un effort de concentration, parvenait à faire venir à elle des filaments rougeâtres, qui lui redonnaient force et endurance. Cette magie obscure n'était pas accompagnée de noirs desseins. Elle combattait ses ennemis avec leurs propres armes, usant de leurs faiblesses, de leurs méchanceté pour gagner en force et leur infliger plus de dommages. Jahynm, au cours des semaines qui s'étaient écoulées, avait fini par comprendre qu'elle souhaitait apporter sa contribution plutôt que se venger. Elle voulait aider, et rendre justice, mais ne souhaitait pas nécessairement se conformer à l'image que renvoyait ceux qui le faisaient.

Vers les autres...


En dehors de ces longues heures d'apprentissage, Jahynm se rendait souvent à Giran, en compagnie de Kay, pour rencontrer de nouvelles têtes, et également pour rire un peu. Rien ne l'amusait autant que les grands airs de certains, leurs bizarreries et leur sérieux. Il n'y avait là qu'un humour corrosif, acéré par des joutes verbales régulières. Elle considérait comme une bonne oeuvre que de rappeler à certains, qu'il fallait savoir rire de soi-même et des autres.

C'est en ces circonstances que les deux larrons rencontrèrent Shuren, ou, comme ils l'apprirent plus tard, le roi de Rune. L'ignorant tout d'abord, il avait été taquiné avec beaucoup d'entrain et de bonne humeur. De rires en chopes de bière à la taverne, Jah avait fait plus ample connaissance avec Shuren, au prix de quelques gaffes bien senties. Bien qu'il soit un peu engoncé dans son rôle de souverain et trop prompt à s'offusquer, elle avait senti en lui un profond sens de l'honneur et de la justice. Tout naturellement, elle lui avait proposé son aide, car au plus profond d'elle, elle avait le sentiment que là était sa place.

C'est pour cette raison qu'elle avait accepté son invitation à rejoindre les rangs de l'armée de Rune, tout en signalant qu'elle n'irait nulle part sans Kay, son ami et compagnon d'aventure. Appartenir ainsi à une communauté avait fait remonté en elle bien des souvenirs d'heures sombres où son sentiment de n'être pas à sa place l'avait heurtée de plein fouet. Au sein de cette armée un peu disparate, de ces chevaliers, de ces mages, au coeur de cette cour pleine d'agitation et de vie, elle s'était sentie transportée. S'ouvrait devant elle une destinée telle qu'elle l'avait rêvée : devenir chevalier, combattre la fourberie, la méchanceté et la bêtise. Tels étaient ses buts, et elle ne les perdait pas de vue. Cependant, elle ne comptait pas changer ses méthodes et devenir un énième pantin soumis. Elle resterait Jah, avec son caractère, sa fougue et sa franchise. Elle était prête à en assumer les conséquences.

Après être entrée officiellement dans l'Isternia, Kay et Jah avait commencé à rencontrer les différents membres de l'armée : la reine Lyll tout d'abord, qui était, malgré son jeune âge, une reine consciente de ses devoirs envers son peuple, prête à défendre les faibles. Jah avait tout de suite ressenti une forte empathie pour elle et lui avait d'ailleurs témoigné sa volonté de la soutenir autant qu'elle le pourrait. Il y avait également Eldena, dont la grossesse rayonnante avait fait forte impression sur Jah : sa jeunesse n'avait jamais été témoin d'un tel bonheur conjugal. Solhan son époux, plus en retrait était apparu comme un homme prudent, ce que Jah considérait comme une qualité, bien qu'un peu trop empreint de lui-même. Dame El'estel, que d'abord elle avait pensé d'une timidité maladive, voire handicapante, s'était revelée une femme forte et pleine de sagesse, dont le courage lui était apparu tout entier lors des heures qu'elles avaient passées ensemble. Jahynm n'avait fait qu'entrevoir Heleor et Dalia, les juges de l'Isternia et réservait donc son jugement à plus tard. Lysandre lui avait bien plu, par son ton direct et son ouverture aux autres.

Lysandre, pour secourir une amie possédée par la magie noire, avait pris sur elle sa souffrance et était revenue à Rune, le diable au corps à proprement parler. Ce furent de longues heures pour Jah, qui ressentait au plus profond de son être la violence et la haine de ce démon qui la possédait. Il lui rappelait sa propre colère. Cette empathie la poussa à demeurer une bonne partie de la nuit auprès de Lysandre, qui était torturée par sa culpabilité et par des souvenirs malheureux qui remontaient en elle. Elle comprenait le geste de Lysandre et admirait son abnégation. Elle était bien décidée à la soutenir jusqu'au bout et à aider les juges à la sauver de ce démon. Ses maigres connaissances en magie de guérison ne seraient pas d'une grande utilité, mais elle ne désirait pas que Lysandre subisse le cruel sentiment d'abandon qu'elle avait connu. Elle resterait là, même si elle la connaissait peu.

Cette longue nuit auprès de la malade fut riche en réflexions, interrompues par des crises plus au moins violentes de la part de Lysandre. Jah éprouvait le désir de pouvoir faire plus que la garde-malade. Peut être irait-elle demander à un prêtre de lui enseigner les sorts de guérison et de protection. Ainsi, elle pourrait poursuivre son destin, et veiller sur ceux qui l'entouraient dorénavant. Rien ne motive tant la lutte et le travail qu'une juste cause. Le risque était partout.. c'était ça la vie, la mortalité d'une courte vie humaine. Et elle comptait bien en profiter un maximum.

Vers la lumière

Jah avait reçu de son maître les dernieres leçons et était devenue chevalier de l'Enfer. Bien qu'elle aspirât jusque là à cette ultime décoration, elle était demeurée préoccupée, inquiète pour Lysandre, toujours sanglée dans son lit. Elle se sentait néanmoins grandie : accéder à ce niveau dans sa formation lui procurait une certaine fierté, mais lui faisait également mesurer combien elle avait changé, combien ses voeux étaient dorénavant autres. Une fois la cérémonie achevée, Jahynm était allée demander audience à Aden. Sa décision était prise, elle souhaitait rejoindre les ordres d'Einhasad. Elle avait conscience que sa formation initiale pourrait choquer le grand prêtre, mais était prête à se battre pour faire valoir ses intentions pures. Elle prit donc son courage à demain, et une fois assise en face du grand prêtre Orven, sentit qu'elle ne faiblirait pas. C'est avec une voix posée qu'elle prit la parole, sous le regard attentif, bien qu'un peu sceptique du grand prêtre :


"Votre éminence, je vous remercie d'abord de me recevoir dans de si brefs délais. J'ai conscience que ma demande n'est pas ordinaire mais croyez qu'elle est motivée par une foi que je n'avais pas soupçonnée jusque là. Je suis chevalier de l'Isternia, mais pas un chevalier ordinaire. Lors de ma formation, poussée par ma colère et mon mépris pour la lâcheté humaine et sa fourberie, j'ai choisi de devenir chevalier vengeur. Je vous prie néanmoins de croire, que jamais je n'ai suivi le culte du dieu de la Destruction. Je me suis instruite de cet art magique, qui sortait certes des sentiers battus, mais ce n'était que dans l'intention de faire régner la justice, et de lutter contre les préjugés : je voulais montrer que l'on pouvait servir le Bien, même par des moyens détournés, si nos valeurs étaient sincères et fortes. Jamais cet art ne m'a servi à faire le mal, mais, je m'en rends compte également, n'a jamais pu faire le Bien non plus. Il s'est contenté d'être une provocation à l'ordre établi, un obstacle que je me mettais à moi-même pour réussir à devenir un chevalier reconnu pour ses actes."

Elle reprit un peu son souffle, sondant le visage impassible du grand prêtre Orven, toujours attentif.

"Peut-être avez vous entendu parler du chevalier Lysandre, membre de l'Isternia actuellement alitée à Rune, car elle est possédée par une force maligne. J'ai passé du temps à son chevet et ai assisté à ses crises d'une rare violence. Et, l'entendant parler par la voix du démon, voyant dans ses yeux transformés une haine démente, j'ai mesuré que si le mal pouvait venir de l'extérieur et des autres, il était souvent en nous. Ma colère a été jusque là mon démon et, j'ai mesuré que si elle avait été un puissant moteur pour mon entraînement, si elle pouvait me faire me dépasser, elle ne pouvait aider les autres. Et je désire réellement aider les autres, mettre à profit ma vie pour faire le Bien autour de moi. L'étincelle de méchanceté et de haine que j'avais senti chez le démon et qui m'avait rappelé mes colères, m'a fait mesuré toute la lumière et la paix d'Einhasad. Je vous avoue, votre Eminence, que je n'ai jamais éprouvé de foi profonde : le dur lot que la vie m'avait réservé avait fait de moi une croyante blasée, ne percevant pas la grandeur de la religion et sa puissance. Je pense pouvoir désigner ce basculement par le mot révélation. Je désire entrer dans les ordres et servir Einhasad, tout en demeurant attachée au roi Shuren, à qui j'ai prêté allégeance."

Le prêtre attendit qu'elle ait fini, la dévisageant avec intensité. Jahynm soutint avec humilité ce regard pénétrant, empli de sagesse. Il prit la parole :
"Jeune Jahynm. Votre sincérité et votre franchise sont tout à votre honneur. Je vous avoue que je ne m'attendais pas à une telle demande. Néanmoins, je perçois votre foi et sa force, ainsi que votre profonde empathie avec le vivant. Certains de mes prêtres ne manifestent plus un tel enthousiasme ni un tel désir de réconcilier le culte avec l'humain. Je vais vous mettre sous la tutelle de la prêtresse Vivyan, en la clairvoyance de laquelle j'ai toute confiance. Bienvenue dans l'ordre d'Einhasad. Que la déesse vous accompagne et fasse grandir votre foi avec la sagesse de vos ans."

Il esquissa un signe de bénédiction et Jahynm, émue, ressentit en elle un tourbillon de lumière vive, emportant avec elle ses doutes et ses craintes. Elle ne serait plus seule.Elle fit une profonde révérence au grand prêtre Orven, pleine de gratitude, et sortit de son bureau. Le monde lui paraissait paré de nouveaux attraits.

Vivyan, quand elle eut entendu l'histoire de la jeune femme, lui raconta qu'elle aussi était revenue à la foi après des années d'égarement. Elles commencèrent l'entraînement immédiatement. Jahynm savait utiliser la magie et la percevoir, aussi il lui suffisait maintenant d'apprendre comment la tisser pour bénir et guérir. Ces nouvelles missions la remplissaient d'une joie profonde et silencieuse. Elle allait apprendre et aider Lysandre de son mieux. Lysandre et tous ceux qui en auraient besoin. En dehors des soins de base nécessaires pendant les longues chasses avec ses deux amis, Kahirym et El'estel, elle avait aidé à soigner la blessure de Dame Eldena, poignardéee à Giran par un lâche en capuche. Chacun de ces soins lui permettait de mieux comprendre la manière dont la magie agissait sur le corps, et comment elle pouvait le transcender et lui rendre sa force. Ces entraînements causèrent chez elle de violentes migraines, qu'elle supportait sans broncher, s'y habituant peu à peu.

Lutte

Vint la nuit et le moment de rejoindre l'infirmerie et Lysandre, toujours alitée et affaiblie par son démon. Les juges, Héleor et Dalia, accompagnés d'El'estel, l'avaient rejointe au chevet de Lysandre : c'était ce soir qu'Heleor allait joindre son esprit à celui de Lysandre pour chasser le démon. Jahynm lui avait assuré qu'elle était prête à joindre ses forces aux siennes, mais il l'avait incitée à la prudence, l'enjoignant à demeurer auprès de Lysandre pour la maintenir tandis qu'il opèrerait.

El'estel et Jahynm s'étaient donc placées près de Lysandre, la maintenant aux épaules tandis qu'Heleor prenait ses mains et se concentrait. La réaction du démon de Lysandre ne se fit pas attendre, et bavant, vomissant et se débattant avec férocité, tenta d'échapper à la pression qu'exerçait sur lui les esprits conjoints d'Heleor et de Lysandre. L'épreuve était houleuse pour Héleor, qui faiblissait à vue d'oeil, malgré le soutien constant de sa nièce Dalia. Le lien allait devoir être rompu pour protéger Heleor. Jahynm sentit se rebeller tout son être face à cet échec imminent et offrit son aide pour soutenir Heleor. Posant sa main sur la sienne, elle lui transmit tant bien que mal son énergie, brute mais puissante, l'enveloppant des cercles protecteurs qu'elle apprenait à maîtriser. La magie s'échappait d'elle en flots continus, faisant revenir le martèlement dans sa tête, épuisant son corps et son esprit.

L'encourageaient à tenir bon, la voix douce d'El'estel, et son immense courage. Elle ne comprenait pas les paroles de sa mélopée délicate, mais y percevait tout ce qui constituait son amie : sa force tranquille, son courage, la beauté irradiante de tout son être. La pensée de Kahirym, de son soutien inconditionnel s'ajouta à la conviction qu'El'estel la protégerait. Alors, pour sauver Lysandre, elle dépassa ses propres limites, soutenant Heleor de son mieux, lui qui détenait entre ses mains l'avenir de Lysandre, lui qui risquait sa vie et sa santé mentale pour la sauver. Einhasad semblait les avoir rejoints. Puis tout à coup, le lien fut rompu.

La magie cessa de couler d'elle et Jah perçut instantanément le martèlement insoutenable qui envahissait son esprit. Saisie de tremblements, roulée en boule, les mains sur les oreilles, elle tentait de se protéger de cette souffrance qui venait d'elle-même. Elle trouva refuge dans les bras d'El'estel, dont les mains fraiches sur son front la rassérenaient. Grâce au soutien des prêtres, la douleur s'en fut lentement, et ses muscles se détendirent. Elle tomba dans un lourd sommeil contre son amie, espérant la retrouver à son réveil, elle.. et Kahirym également, espérant sentir à nouveau l'étreinte ferme de ses bras et le doux appui de son épaule...