[BG Humain] Ysadora

Nuit sans fin.

"-Ysadora lève toi, le jour se lève!"

Un grognement étouffé par de grosses couvertures se fit entendre. Puis plus rien.
La vieille femme frappa de nouveau contre la boiserie, pour tenter de reveiller la belle endormie. Un bruit sourd se fit entendre, puis une voix claire mais meurtrie.

"-Tu oublies que le jour ne se lèvera plus jamais pour moi."
"-Tu es dure Ysa."
"-Pas autant que la vie l'est."

La grande brune passa devant sa mère, se guidant a l'instinct à travers le couloir menant à la cuisine. La femme lui emboita le pas, et s'affaira aux fourneaux afin de lui préparer son petit déjeuner.
Bientôt des pains de beurre fumants se trouvèrent devant l'aveugle, ainsi qu'un verre de lait encore chaud.
Un soupir brisa le silence.

"-Je suis désolée."
"-Ton père rentrera bientôt. Il faudra que tu t'occuppes de couper les blés aujourd'hui."
"-Trés bien."

Sans toucher au repas elle se leva et retourna à sa chambre pour se préparer. Elle se passa lentement les mains sur le visage, puis sur les épaules en suivant les lignes de son cou. Respirant calmement, elle resta prostrée ainsi un moment. Elle pouvait entendre le tintement de la vaisselle qu'on lave, le bruit des pas contre le bois sec, celui du vent qui s'infiltrait à travers la fissure de ses volets rongés par le temps, celui du merle chantant. Alors que son monde avait perdu toutes ses couleurs ces trois dernières années, il avait gagné en sensibilité, en saveur, en odeurs, mais elle avait encore du mal à l'admettre.
Son avenir aurait pu être tout autre si elle n'avait pas eu la témérité de défier cet abruti en duel.
Tout n'avait été qu'un enchainement d'absurdités. Un combat mal mené, une chute, et cette saloperie de rocher.
Ils auraient du la laisser crever auprés des falaises. Ils l'avaient sauvée, mais la mort lui paraissait bien plus douce que la vie qu'elle était condamnée à mener a présent.
La faucille tronait a coté de ses épées. Elle en caressa les lames, se remémorant les années passées à tenter de les dompter.
Tout ces efforts...Foutus en l'air.
Avec un pestement rageur elle les envoya valser a l'autre bout de la pièce, enfilant sa tunique de coton et saisissait l'assassin d'épis.
Alors qu'elle marchait vers les champs, elle sentait la chaleur du soleil lécher son visage. Le soleil devait avoir le doré des blés aujourd'hui.
Elle se mit alors à la tâche, écoutant le métal fendre l'air et la récolte, s'amusant de l'inclinaison de la lame pour créer une quelconque mélodie, musicienne improvisée.
Soudain son geste se stoppa, son être se figea et une floppée de questions envahirent son esprit.
Si elle avait pu pleurer, nul doute qu'elle l'aurait fait.
Alors que les souvenirs et les regrets dévoraient son coeur, Une evidence la frappa de plein fouet.

Nuit ou jour, il est hors de question que je passe ma vie à jouer aux paysannes.

Laissant la faucille reposer au sein des épis dorés elle se précipita vers la maison, buttant contre de nombreux obstacles, trébuchant, luttant, mais se relevant à chaque fois, poussée par un espoir fou mélé de craintes. Une fois dans sa chambre elle tatonna pour retrouver ses lames, s'y blessant dessus. Elle saisit ensuite le bandeau qui tronait sur sa petite console, voilant son visage pour masquer ses yeux bleu de givre à présent morts. D'un geste presque mécanique elle repoussa ses mèches chocolat en arrière, comme toujours et depuis plus de vingt elle les portait court. La silhouette de guerrière qu'elle avait mis tant d'années à sculpter avait perdu en muscles ces dernières saisons, et ses rêves de chevalerie avaient été soufflés par l'accident.
Et les mains et les joues rougies, elle sortit de la demeure familiale.
Sa mère devait sans doute être partie auprés des bêtes. Elle comprendrait. Son père en ferait autant, pour sûr, il en avait fait autant à son âge.

Elle se battrait jour aprés jour, cherchant à sa manière un moyen de voir le jour. Se rendre utile, s'entourer, peu importe où ses pas la mèneraient, elle avait confiance en la bonne aventure.
Avec ses mains pour yeux, elle se laisserait guider par ce monde qu'elle ne voyait plus, le redessinant en sons et en saveurs.

Et alors qu'au gré de ses pensées elle se laissait dériver. Ses pieds frolèrent les planches du port de l'Ile Parlante.