Au milieu d’une rue de Giran, Alrun regardait les nains s’affairer. Elle écoutait les échanges bruyants des commerçants avec un sourire sur les lèvres, avant de trottiner vers la rue voisine pour assister au même spectacle qui la réjouissait tant. Du haut de ses vingt-sept années, la jeune naine visitait la ville pour la seconde fois.
Née parmi les siens, au fin fond d’un vallée encaissée, fille de deux artisans confirmés, elle n’avait que rarement quitté les environs de son village. Son enfance lui offrit le temps qu’il fallait pour explorer les moindres recoins et exploiter les moindres lieux susceptibles d’amuser un gamin. Puis vint le temps de l’apprentissage, et les longues mais merveilleuses années passées dans l’atelier de ses parents et des autres artisans, à aider de son mieux et à apprendre le métier. Alors seulement, Alrun se prit à regarder avec envie les convois de commerçants qui quittaient les montagnes pour aller vendre leurs produits ailleurs, loin, dans ces fameuses « plaines » dont elle ne connaissait que le nom. Alors seulement, elle commença à demander à ses parents ce qu’il y avait « dehors ». A ses questions de plus en plus pressantes, on lui répondit par de longues histoires, anecdotes, légendes, qui lui décrivirent les gigantesques villes, les humains - si grands – les orcs – si forts – ou encore les elfes – si sveltes. Elle était la première à harceler les voyageurs de retour pour leur arracher un récit de leurs aventures. La première aussi à se précipiter pour découvrir ce qu’ils avaient ramenés de si loin. Aussi, il était dans la logique des choses qu’elle veuille partir à son tour et, l’année de ses vingt ans, apprenant que son père faisait partie de la prochaine caravane, elle demanda le droit de les accompagner.
Et, dans la logique des choses, il refusa. « Quand tu aura trente ans, je t’y emmènerais ! » lui dit-il en riant, avant de déposer un léger baiser sur son front et de partir, laissant derrière lui une jeune naine au visage comiquement boudeur.
Mais c’était sans compter sur l’énergie et la bonne humeur envahissante de la jeune naine. Il n’en existait pas de plus bornées ! A force de questions, de harcèlements, de ruses, elle finit par arracher une promesse à ses parents : si elle excellait dans son travail, si elle surpassait les autres enfants, alors elle irait. A peine cette promesse prononcée, Alrun disparu dans les ateliers et se mit à la tâche …
Etait-ce parce qu’elle était terriblement têtue ou alors simplement grâce à son énergie débordante ? En tout cas, cinq ans plus tard, elle avait surpassé les autres jeunes nains, et ses parents ne trouvèrent plus de prétexte pour repousser l’heure de son voyage. Elle rejoignit la prochaine caravane en partance pour Giran, et découvrit « l’Extérieur ». Il n’est nul besoin de vous décrire l’émerveillement et la joie qui fut la sienne.
Une jeune naine à l’enfance sans histoire donc, à la vie passablement intéressante, au quotidien parfaitement banal, élevée par ses parents dans l'état d'esprit propre à ceux de la caste des béliers.
Enfin pas tout a fait.
Aujourd’hui, deux ans après ce premier voyage, elle était de nouveau à Giran, le cœur plein d’idées de voyages et d’excursion, de soif de découverte, et toujours d’aussi bonne humeur. Ce qu’elle n’avait pas prévu en partant, toutefois, c’était cette attaque. Ils n’étaient pas assez nombreux, les agresseurs étaient trop, et leurs marchandises alléchantes. Comment avait-elle fui ? Elle ne se souvenait pas trop. Et qu’était devenu les autres ? Morts, probablement. Et parmi eux son père.
A vingt-sept ans, encore jeune et inexpérimentée, la voici seule et loin de chez elle, avec pour seul arme son sourire et pour seul bagage son léger sac de voyage. Ce jour là, la vie de la jeune Alrun prit un nouveau tournant.
Mais avant toutes choses ... Il fallait qu'elle rentre chez elle, annoncer la nouvelle à sa mère, ou la rassurer sur sa propre vie si elle avait déjà eu vent de l'attaque.