[Humain] Kahirym

La nuit tombe sur Azur.

Dans le port un homme est assis sur une marche, le regard perdu vers le large. Un homme grand et bien bâti caché sous un manteau, une lance accrochée dans le dos. Son visage, à moitié dissimulé par une mèche de cheveux, ne dévoile aucune expression.


C’est pourtant un enfant du pays, Kahirym, bien connu des pêcheurs et surtout des ivrognes. En tant que l’un des fils du tavernier, l’on ne passe que peu inaperçu sur une petite île comme celle-là.
Pour lui, ce fut, au début du moins, une belle vie.


Il avait passé son enfance, dans les bras de sa sœur Tehea, à écouter les récits des capitaines sur leurs nombreux voyages extraordinaires, des simples batailles face aux pirates jusqu’aux combats titanesques contre une des nombreuses créatures marines. Ou encore à entendre de vieux mercenaires expliquer de quelle façon ils avaient fait fortune sur le continent en s’alliant à des rois sages et bons.
Bercé par ces contes et ces légendes, Kahirym se laissait aller, négligeant le travail que son père lui confiait, ne s’entraînant pas avec ses frères à la chasse à un point tel qu’il n’arrivait pas à tirer avec un arc.

Les saisons passaient et le jeune homme ne changeait pas ses habitudes, toujours plongé dans des livres, à écouter les histoires des voyageurs comme des marchants faisant escale, ou à regarder les belles femmes de son village assis sur une marche de la place.
Sa sœur, devenue acolyte auprès du prêtre de l’église le pressait de trouver sa propre voie et de quitter la maison comme elle l’avait fait. Pour l’aider dans sa quête elle lui apportait de nouveaux livres, des livres sur différents métiers, sur le maniement des armes et le maniement de la magie.


Après plusieurs essais infructueux comme charpentier, forgeron et autres, il ne restait devant lui que deux solutions, devenir prêtre ou rejoindre la garnison. Un choix bien cruel mais facile, car il ne pourrait jamais devenir prêtre : il ne pouvait, malgré ses efforts, lancer le moindre sort. Un soldat, il en avait la carrure mais son esprit belliqueux ainsi que sa finesse qu’il partageait avec les monstres de pierre ne faisaient pas de lui un bon petit soldat. Il intégra donc la garnison sans trop de conviction.

Pendant les années de son entraînent, il se jetait volontiers en plein milieu de ses ennemis, dessinant de grand cercle au dessus de sa tête. Le maître d’armes désespéré, devant aussi peu de discipline et d’efficacité, lui donna une lance. Peu à peu sa maladresse se changea en art, un art rare et apprécié pendant les nombreuses guerres de ce monde. Voilà qu’une passion naissait en lui : instinct animal ou frénésie guerrière, sa soif de bataille devenait plus grande au fur et à mesure qu’il maniait cette lance au point de ne plus distinguer ses ennemis de ses propres alliés.

Lors de ses permissions, il retournait dans l’auberge familiale, du moins les rares fois où il ne visitait pas les geôles pour avoir insulté le maître d’armes ou encore assommé ses compères avec sa lance. Une vie bien ennuyeuse : monter la garde devant une porte que personne n’a envie de franchir, écouter les maîtres d’arme rabaisser les novices à la moindre de leurs faiblesses.
C’est lors d’une de ses permissions que tout changea.
Apres avoir flâné toute la journée dans les rues, il retourna, à la nuit tombée, vers l’auberge. Il ne remarqua pas le peu de lumière, l’absence des rires et des chants en ouvrant la porte. Ce n’est qu’une fois rentré dans la demeure qu’il comprit.
Des hommes étaient la, debout, armes au poing. Il ne savait pas qui cela pouvait bien être et il ne s’en préoccupa pas. C’est la vue de sa sœur cachée derrière son aîné qui l’obnubilait.

Tout se passa très vite.
Les hommes chargèrent, le jeune garde prit sa lance.
Des cris d’effroi et de guerre résonnèrent dans la taverne, accompagnés des bruits des lames s’entrechoquant.
Le lancier se battait comme un lion, devenu comme fou en sachant que sa sœur bien aimée se trouvait en danger. C’est en voyant tomber le premier ennemi qu'un sentiment de force le gagna. Distribuant les coups sans même se soucier d’en recevoir, il se mit à rire quand il prit l’avantage, un rire de fou, un rire qui le fit frissonner lui même.
Les rôdeurs finirent par tomber, Kahirym s’acharnant sur le corps du dernier homme tombé sous ses coups.
C’est au moment de tomber épuisé qu’il reprit sa lucidité. Les sanglots de Tehea couvraient peu à peu sa respiration haletante. Il rouvrit les yeux pour apercevoir le massacre, son frère couché dan les bras de Tehea, visiblement mort.
Apres quelques instants passés à échanger des regards avec sa soeur, après avoir remarqué la peur qui se dégageait d'elle, il se coucha au milieu des cadavres regardant dans le vide sans éprouver le moindre sentiment pour la mort de son frère.

Kahirym finit par se relever, évitant le regard terrorisé de Tehea, puis partit en direction du port sans se retourner, ne sachant si c’était lui l’assassin de son frère.

Aucune alerte n’avait retenti cette nuit-là, personne ne s’était lancé à sa poursuite et le bateau qui l’amènerait loin de ce monde se distinguait à l’horizon.

Il venait de perdre le seul être qui lui était cher et ce; en essayant de la sauver, cette sœur si prévenante. Il était devenu un cours instant le pire des hommes, il était devenu une simple bête…un chien de guerre.