Le soleil rougissait l’horizon et ses derniers rayons étaient déjà plus froids que l’ombre qui s’étendait peu à peu à mesure que la nuit s’annonçait. C’allait encore être une de ces nuits qui ne terminait jamais, où l’aube se fait désirer pendant ce qui semble être des mois entiers. Le vent poussa un dernier râle avant de lui aussi partir se coucher vers la mer, emportant sur son passage sable et gravillons… Il déposa pour tout adieu une bise douce et froide sur la joue d’une jeune femme qui siégeait sur un roc, peut-être trop près de la falaise. Celle-ci ouvrit deux grands yeux d’un noir couleur de jais pour observer le tumulte des vagues en contrebas. Sous ses yeux se creusaient deux trainées le long de ses joues et ses lèvres restaient figées dans un rictus triste et lugubre. La jeune elfe sombre se leva alors, bravant de sa silhouette menue l’infinie étendue d’eau qui s’étalait sous son regard, puis elle écarta les bras perpendiculairement à son torse avant de laisser échapper un grand rire glacial. Puis des rires elle passa aux sanglots, rabattant lourdement ses bras le long de son corps et se laissant basculer en arrière pour à nouveau prendre place sur son siège de pierre. Elle s’était juré de ne plus verser une larme pour lui, ni pour elle… Et elle rompait là son vœu. Elle l’avait revu la nuit dernière, alors que le sommeil avait eu raison d’elle, ce bras qui frappait une fois, puis deux, puis une troisième fois avant que la femelle ne s’écroule, inconsciente. Elle s’était juré de ne plus laisser la nuit avoir le dessus sur son esprit mais nul ne semble pouvoir échapper aux bras délicats et reposants de celle-ci.
Elle frappa la roche du poing, ne ressentant rien de la coupure qu’elle s’infligea par la même occasion. Le sang commença à couler lentement alors qu’elle pestait à mi-mots contre une personne absente. Cette fois, elle ne faiblirait plus. Cette nuit elle dormirait et n’aurait ni rêve ni cauchemar. Toutes ses nuits seraient vierges à partir de celle-ci et plus jamais les larmes ne viendront à nouveau ravager son fin visage. Elle se reprit à rire, le vent se soulevant à nouveau dans une naïve tentative pour la réduire au silence. De sa voix charmante et néanmoins aussi froide que peuvent l’être les plus anciens glaciers, elle hurla dans la nuit tombante. « Plus jamais Chiyoko Faedirgen ne versera de pleurs sur le sol ou dans la mer de cette terre ! Mère pourra être fière de m’avoir pour fille, car hormis Elle je n’ai eu et n’aurais jamais aucun parent ! Je laverais le sang souillé de ma famille mais non pas avec les larmes de mon corps mais bien à l’aide du sang de mes ennemis ! » Puis, à court de souffle, elle se tut. Fermant à nouveau ses yeux aux iris plus noirs que l’était l’obsidienne. Chiyoko venait de renaître, séparée de son lourd passé.
La lune s’était dressée haut dans le ciel et la falaise avait retrouvé son calme nocturne. Une légère flaque de sang maculait la pierre, puis une fine traînée rougeâtre se dirigeait vers le sous bois, à plusieurs mètres de là. Que Shilen soit fière de la ferveur et du courage qui brûle au sein de chacun de ses enfants, car c’est ce qui allait mener Chiyoko à son destin, quelque part dans les rues de Gludio, cette ville où plus jeune, elle avait vu ce bras si familier se lever et frapper…