[Humain] Dervan De Lonsentier

Le cheval se cabra brutalement, ses sabots battant l’air deux ou trois fois avant de retomber au sol tandis que son cavalier pestait de vive voix. « Par Einhasad, Dervan à quoi est-ce que tu pensais là ? » Je m’écartais rapidement, rabaissant mes bras que j’avais levés devant mon visage suite à la charge frénétique de la monture de Sire Henreil, puis je me confondais rapidement en excuses. « Mes excuses, sire, je ne songeais pas que votre destrier réagirait de la sorte et je.. » Il me fit taire en levant la main, puis mit pied à taire en me tendant les brides d’un geste sec et autoritaire. Son regard était glacial, et tout autour de nous on pouvait entendre les rires des spectateurs venus assister à la représentation donnée par la maison cavalière Elvenar. Je baisais la tête, conscient qu’un nouvel affront ou qu’une autre tentative d’excuse serait une nouvelle humiliation aux yeux de l’assemblée ainsi qu’à ceux de mon maître. Ce dernier se tourna à nouveau vers moi, crachant quelques mots à voix basse : « Attend moi aux écuries, mais ne crois pas t’en tirer aussi facilement… » Puis il fit face à son public, se confondant en excuse et ne cessant, du ton incroyablement noble et imperturbable qui lui était propre, d’affirmer qu’il s’agissait d’un accident fréquent dû à la fatigue et l’âge avancé de l’animal. Quant à moi, je menais Tourmaline à son box.

J’eu le temps de défaire la jument de son harnois et de la brosser avant que Monsieur Henreil n’arrive aux écuries, s’étant défait de son heaume. Il passa près de moi sans me jeter un regard, tapota le flanc de sa monture puis s’assit sur un tabouret dans le coin du box, portant ses mains à ses tempes. « Approche, Dervan… » J’avais depuis longtemps appris à abandonner toute tâche qui m’avait été donnée lorsqu’il me demandait et je ne rompis pas l’habitude. L’homme lâcha un profond soupir et leva des yeux d’où une larme s’échappait, sûrement malgré lui. « Fils, ton erreur aujourd’hui est impardonnable… Mais pas parce que par ta faute j’ai été la risée du petit peuple » Il marqua une grande pose, m’invitant à approcher d’un signe de sa lourde main gantée de cuir puis reprit alors que je m’avançais. « Tu restes un bon écuyer aux yeux de tous, Tourmaline par contre est à présent perçue pire qu’une bête de somme… et je ne pourrais pour cela plus jamais la monter lors des parades… » Je comprenais la raison de ces pleurs contenus derrière ses paupières ; Tourmaline était sa jument préférée. Il avait assisté à sa naissance et sa mère en était d’ailleurs morte en couche. Depuis il n’avait eu de cesse que d’en faire sa plus grande fierté, modèle de puissance tout comme d’obéissance. Et voilà que je lui enlevais en ce jour tout cela, c'en était trop, même pour un simple seigneur de campagne. J’allais tenter quelques paroles que je pensais réconfortantes quand il m’ordonna au silence pour me prendre dans ses bras et finalement s’écarter au terme de cette étreinte.

Je savais ce qui allait ensuite se dire, et cela m’intimidait grandement mais ne me semblait à aucun instant une peine assez lourde pour compenser celle que j’avais infligé à mon père. Lui secouait la tête lentement de gauche à droite alors qu’il me tournait le dos. « Le prestige de la famille Elvenar a été une première fois chahuté lorsque d’enfant de la rue je t’ai pris comme écuyer ainsi que comme fils… Je suis désolé mais cette fois je ne peux me permettre, au nom de l’amour que je porte, de risquer de tomber plus bas encore et de salir le nom que m’a légué mon père. » Je serrais le poing puis acquiesçait d’un signe de tête en me saisissant d’un sac de toile accroché à la barrière. Alors que je passais près d’Henreil, il tendit le bras et m’arrêta. « Il y a une armure ainsi qu’une arme et un bouclier qui attendaient ton adoubement dans le cellier… Prend les, je n’aurais jamais autre enfant à qui en faire présent… » Il me libéra de cet obstacle musculeux et m’ordonna d’un geste vif et agressif de m’en aller.

Je pris la route pour Giran, où m’emmenait parfois Henreil lorsqu’il avait besoin d’un forgeron de talent. Mon équipement fraîchement acquis, je ravalais ma douleur et ma peine puis je portais mon baluchon à l’épaule… Marchant à présent vers le reste de ma vie sous le nom de Dervan de Lonsentier.