[Sombre] Feïrgorth Nhylith

Nossta… Ca faisait un bail que je n’avais pas entendu parler de ce village. Et pourtant ce n’était pas faute d’y avoir passé mes plus jeunes années. Ce nom et les souvenirs qu’il ravivait m’arrachèrent un frisson alors que j’observais le corps inerte du petit être bourru dont le sang souillait encore le fil de ma dague. Je toussais, inutile subterfuge au milieu des bois pour retrouver mon sang-froid, et je m’agenouillais près du grossier personnage dont le visage embrassait la terre fraîche et encore humide de la rosée matinale. « Que faisais-tu donc loin d’chez toi ? Et pourquoi vouloir aller te promener à Nossta ? » Je me relevais, conscient que je ne pourrais plus obtenir de réponse de ce nain qui avait tenté de m’attaquer un instant plus tôt, et une curieuse pensée me traversa l’esprit alors que nettoyant ma lame je repris mon chemin : comment, par Shilen, un être avec d’aussi petites jambes avait-il pu parcourir autant de distance sans en mourir d’épuisement ? Un petit ricanement m’échappa mais malgré les turpitudes et les efforts que mon esprit accomplissait pour m’éviter ce douloureux souvenir, son visage me revint en pleine figure comme une bonne baffe que seul un orc serait à même d’offrir. Elle était sûrement encore quelque part là-bas, où je l’avais laissée, esseulée et abandonnée sans un adieu… Je n‘avais pourtant pas le choix… Aurait-elle d’ailleurs seulement su comprendre les raisons de mon départ ? Hé, voilà que j’en revenais à me justifier à moi-même ma fuite, des années auparavant. Je m’en voulais donc toujours autant et pourtant j’espérais qu’elle ait depuis longtemps réussi à m’effacer de sa mémoire, chose qui fut de mon côté un total échec.

Je marchais, ou plus justement vagabondais au même rythme que mon esprit, depuis plus d’une heure déjà quand mon pied heurta une chose molle et imposante : la carcasse de mon ami court sur pattes de ce matin. Je secouais la tête ; comment avais-je pu me débrouiller pour littéralement tourner en rond dans des bois que je connaissais mieux que je ne savais mon alphabet ? Je pris le soin de vérifier la gorge du nain en lui soulevant la tête par cette natte de cheveux roux qui ornait l’arrière de son crâne et constatais qu’il s’agissait bien du petit être que j’avais égorgé après un court interrogatoire, soixante minutes auparavant. Quelque peu perturbé par cette incongrue découverte du manque d’orientation dont j’avais fait preuve, je partis vers l’est, regagner le plus proche sentier qui n’était, en cette saison, foulé que par certains colporteurs assez fous ou inconscients pour venir offrir au peuple Sombre les victuailles de leurs contrées. Bien sûr, au vu de ma parfaite connaissance des lieux, je n’attendis pas un quart d’heure qu’un homme à la silhouette fine et aux vêtements arborant des couleurs vives et chatoyantes fit son apparition sur le chemin.

Tout se passa alors très vite. Je passais derrière lui, sans un bruit, ne troublant ni le murmure discret du vent ni le sifflement qu’émettait l’humain pour se rassurer, et d’un geste vif je passais mon bars sur son torse et posais ma froide lame sur sa gorge. « Salut joyeux voyageur, on peut savoir où tu files de si joyeuse manière ? » A peine eussé-je posé ma question que je le sentis suinter la peur. Il semblait que les marchands itinérants n’avaient de nos jours plus aucun sens des risques qu’ils encouraient à fouler les terres des Sombres. C’est d’une voix chevrotante qu’il me répondit qu’il vendait ce que chez lui on appelait « camelote » et qui pour nous être vendue devenait « bijoux ». Venant d’un humain, cette réponse me surpris : il avait répondu avec trop d’assurance et d’affront pour un lâche de son espèce. J’exerçais une pression du poignet, laissant couler de son cou un très mince filet de sang et répétais ma question.

Quelques minutes plus tard, il gisait, inerte, bras dessus bras dessous avec son ami de petite taille qu’il était venu retrouver afin de mettre en commun leurs observations respectives sur les villages environnants. Je n’ai pas su en obtenir plus de ce larbin, mais cela faisait trop pour moi… Elle me hanta tout le jour ainsi que les trois suivants, si bien que je me résignais à rejoindre la civilisation dont j’avais oublié jusqu’au parfum afin de m’y offrir une pinte de boisson stimulant l’oubli, et si possible, de terminer la nuit dans les bras d’une charmante jeune fille qui préférerait ma compagnie à la solitude jusqu'au lever du jour… Et ça, ça ne se trouve qu’à Gludio !