[BG humain] Heleor Bralyon

Le soleil s'affaissait à l'horizon, derrière un regroupement de collines, après une belle et chaude journée. Sa lumière déclinante baignait de vastes champs d'une douce lueur rose-orangée, tandis qu'un jeune humain marchait d'un pas alerte le long d'une route de terre battue courant à travers les cultures. Il était vêtu d'une tunique brune, serrée au niveau de la taille par une ceinture à laquelle pendait une épée dans son fourreau, et était chaussé d'une paire de solides bottes de cuir. Lui même semblait de constitution assez robuste, possédait un teint clair et des cheveux châtains courant en partie sur son visage aux traits fins et bien dessinés. Il possédait des yeux d'un vert sombre qui montraient une certaine vivacité. On aurait pu le qualifier d'assez avenant, selon les critères humains.
Ses pas le conduisirent à travers une petite forêt, qu'il traversa rapidement. Les arbres firent place, peu après, à une étendue d'herbe verte. Un peu plus loin se dressait un modeste mur d'enceinte en pierre, grand d'environ quatre mètres.
-Enfin ! , pensa-t'il tout haut. La route menait à présent droit à une large porte de bois à double battant qui demeurait grande ouverte, encastrée dans la pierre. Tiens, ils n'ont pas encore fermé pour la nuit. Je ne suis peut être pas si en retard. A côté veillait une sentinelle en armure, vêtue d'un tabar arborant un large bouclier dont les bords avaient la forme d'ailes blanches, et sur lequel reposait un épais livre ouvert, soigneusement ouvragé. En travers, se trouvait une longue épée. Il détailla un instant le blason, et la sentinelle, le voyant approcher et le reconnaissant, se redressa quelque peu et affecta l'attitude du garde zélé. Le jeune humain souria légèrement, et franchit les portes en adressant un léger signe de tête à l'autre homme.
La superficie de terrain qu'encadrait l'enceinte n'excédait pas le demi-kilomètre carré. C'était le domaine d'un modeste seigneur, qui régissait les terres alentours. La plupart de celles-ci étaient des champs cultivés par les habitants de la région, placés sous la protection du maître des lieux. Ce dernier appliquait une loi juste et éclairée, bien que la vie fut paisible et fort peu troublée. Il se nommait Eren Bralyon, et arrivait non loin de son soixante-cinquième printemps. Il avait deux fils. L'aîné, Jilian, approchait de sa vingt-septième année tandis que le cadet, Heleor en avait tout juste vingt.
Le jeune humain, après être passé devant quelques dépendances, comme les baraquements où résidait la petite garnison, et la forge, d'où s'échappait une fumée noire, arriva en face d'une grande et solide demeure de pierre claire, d'architecture humaine. Un oeil avertit aurait cependant noté quelques détails appartenant à l'art elfique. Aux alentours, des gens vaquaient à leurs dernières occupations de la journée avant le repas du soir. Le soleil était à présent presque complètement couché. L'humain monta les marches menant à la porte d'entrée et franchit le seuil. L'attendait un homme de haute stature, vêtu d'un habit de velours rouge, et affichant un large sourire. Ils se ressemblaient beaucoup, bien que l'autre fut plus âgé.
-Heleor ! Tu es en retard, mon frère, et tu sais à quel point notre père est pointilleux ! Il t'attend dans son bureau. Il doit avoir hâte de te voir, et nous pourrons deviser après.
-Bien...je m'y rend de ce pas.
Il ne semblait pas très rassuré. Jilian lui donna une tape affectueuse sur l'épaule.
-Ne traîne pas en route, ajouta-il, l'air amusé.
Heleor prit un couloir à sa gauche et arriva devant une imposante porte de bois. Il épousseta rapidement ses habits, les défroissant autant qu'il le pouvait, et frappa. Une voix forte et grave l'invita à entrer, et il s'exécuta.
Un feu ronflait dans la cheminée. La pièce comportait une bibliothèque remplie de nombreux ouvrages, et le sol était orné d'un tapis. La partie la plus imposante du mobilier était le large bureau en bois massif derrière lequel se tenait un homme à l'aspect sévère. Eren Bralyon commençait à prendre de l'âge, mais il se portait bien et avait conservé une grande partie de sa vigueur d'antan, et tout son caractère. Il leva des yeux froid vers Heleor, qui s'avançait vers le bureau.
-Père, dit ce dernier respectueusement. Me voilà.
-J'ai bien vu, répondit-il d'un ton glacial. Tu es en retard, fils. Ton éducation ne t'as pas appris la ponctualité ?
-Je m'excuse, j'ai trop tardé en route.
Eren balaya la remarque d'un geste de main.
-Comment s'est déroulée la mission pour laquelle je t'avais envoyé ?
Heleor se tenait droit, presque au garde-à-vous.
-Je me suis rendu au village où les habitants réclamaient notre aide, les rapport comme quoi des brigands seraient passés dans les environs sont fondés, j'ai trouvé les traces de leur campement, et suis resté quelques temps là-bas mais ils semblent avoir quittés la région. Des éclaireurs sont en route pour essayer de retrouver leur trace et s'assurer qu'ils sont partis. Ils ont ordre de ne pas s'éloigner de plus d'une dizaine de kilomètres. Si jamais il s'avère qu'ils sont toujours une menace, un détachement se tient prêt à partir.
Son père hocha la tête d'un signe approbateur.
-Très bien, je vois que j'ai bien fait de t'envoyer. Tu as agis comme il le fallait.
Le jeune homme regardait son père, restant humble face au compliment, et attendant la suite.
-Ton frère mènera ces hommes, au besoin. Pour toi, j'ai d'autres projets. Sache que bientôt ce sera à Jilian de reprendre les rênes du domaine, il est l'aîné, et est marié à présent. Toi, tu as acquis assez de maturité et de force d'esprit.
Il regarda Heleor fixement, celui-ci demeurait aussi neutre que possible. Eren reprit:
-Je vais donc accéder à la demande que tu m'as faite auparavant. Je sais que tu as toujours eu le désir de découvrir d'autres lieux, d'autres gens, d'autres races, d'autres moeurs, d'autres aventures, servir les principes de notre maison ainsi que notre déesse Einhasad. Je ne souhaite pas te retenir contre ta volonté, mais, écoute mon avertissement.
Son ton était ferme et grave. Chacun de ses mots s'inscrivait avec toute sa signification dans l'esprit de Heleor.
-Tu as toujours eu la chance de vivre dans un monde relativement paisible, où ta vie n'a presque jamais été en danger, au milieu de personnes en qui tu pouvais avoir confiance, qui t'aimaient et te protégeaient.
-J'ai conscience de cela, père, et je... Eren avait levé la main pour lui intimer le silence, ce qu'il fit.
-Oui, j'ai toujours veillé à ce que tu ne sois pas bercé d'illusions. Je vais te répéter ce qui est, pour être sûr que tu comprennes ce dans quoi tu va te lancer. Nous vivons sur une terre en perpétuel mouvement, bercée au grès des guerres et des conflits de tout genre. Je t'y ai préparé du mieux possible, mais rien ne peut mieux te faire comprendre ce qui est que le fait d'y être confronté. Tu découvrira, je pense, toute la portée réelle des mots guerre, massacre, trahison et magie noire...
Tu aura bien des épreuves à affronter, des causes à servir. Einhasad sera toujours là pour te guider et t'aider au mieux, mais tu dois aussi compter sur toi, et, bien entendu, ceux qui partageront tes idéaux. Demeure clairvoyant, ne soit ni trop suspicieux, ni trop naïf. Tu dois savoir discerner le mal là où il se trouve.
Il cessa un instant de parler pour que ses mots résonnassent encore dans l'esprit d'Heleor.
-Cependant, continua-t'il, mes paroles sont quelque peu sombres et pessimistes, peut-être est-ce l'âge... enfin, il est évident que le monde n'est pas fait que d'ombres et de malheurs, il y a toujours des êtres bons et justes qui s'opposent aux créatures malfaisantes, des cités dont la splendeur n'est pas éteinte et qui continuent de prospérer.
-Soyez sûr, père, que j'honorerai nos préceptes de mon mieux.
Heleor, bien que paraissant calme, sentait poindre en lui une excitation bouillonnante. Ils se regardaient à présent fixement. La résolution se lisait dans les yeux du jeune humain. Son père savait que sa décision était fermement prise. Sur son bureau, il prit un petit objet, qu'Heleor n'avait pas remarqué, et le lui tendit. Il s'agissait d'une bague en fer forgé, à l'emblème de leur famille, la réplique exacte de celles que portaient son père et son frère. Le fils la prit respectueusement et la glissa à son doigt, la contemplant avec fascination, tandis que les flammes dansantes dans l'âtre faisaient luire l'objet, l'animant d'une vie propre.
-Notre forgeron l'a réalisée récemment, à ma demande. A présent, tu peux toi aussi la porter. Je suppose qu'il est inutile de te dire de la garder précieusement.
-Je vous remercie infiniment ! C'est un grand honneur qui m'est fait !
Eren lui adressa un de ses rares sourires.
-Bien. Je pense en avoir fini. Tu peux disposer et, si tu le souhaites, commencer tes préparatifs.
Heleor s'inclina devant son père et, quittant le bureau, prit la direction de la chapelle, intégrée à l'édifice.
Il s'avança jusqu'à l'autel que dominait une représentation d'Einhasad et, comme le faisaient les membres de sa famille depuis toujours, s'agenouilla et entonna une prière dédiée à leur déesse. Ses paroles raisonnaient dans la nef, amplifiant en portée et en sens. Cette prière était peut être la dernière qu'il aurait l'occasion de faire dans le domaine familial. Qui sait ce qui pouvait advenir de lui par la suite ?
Cessant ses pieuses litanies, il resta agenouillé le temps que les derniers échos se fussent éteints et que le silence eut repris sa place. Il se releva et quitta la chapelle.En sortant, il se souvint d'une chose qu'il s'était promis de faire. Je ferais bien de consulter le Livre une dernière fois, songea-t'il.
Ses pas le menèrent donc à la haute pièce centrale qui constituait le coeur de la bâtisse. Elle demeurait vide, à l'exception du large et vieux livre posé sur un piédestal, au centre. Se rapprochant, il passa doucement la main sur la couverture pourpre de l'ouvrage. Celui-ci existait déjà du temps de leurs plus vieux ancêtres. Il comportait les évènements notables concernant leur maison, un arbre généalogique remontant aux plus vieilles racines, ainsi que les préceptes qu'ils respectaient. Le jeune homme l'ouvrit à la page où figurait son nom, près de celui de son frère. La plus récente ramification de l'arbre. A côté de Heleor figurait le nom d'Adanedhel. Chaque membre de la famille se voyait en effet recevoir un second nom d'origine elfique, en vertu d'une tradition issue du fait qu'ils possédaient une lointaine ascendance elfique. Cependant, les marques de celle-ci avaient disparues depuis quelques générations, où demeuraient discrètes. Il remonta au tout début du livre, là ou se trouvaient les préceptes qu'il se devait de suivre, et entama sa lecture.

Si de notre sang tu es
Toi qui lis ce Livre
Sache qu'à nos préceptes tu es lié
Et te dois de les suivre

De ton épée tu combattras le mal.
De ton bouclier tu protégeras celui qui en a besoin.
Assistance aux temples de notre déesse tu dois.
Ton entrainement tu ne négligera pas. Il doit être régulier et efficace.
A ton seigneur et tes compagnons tu demeureras fidèle et loyal, tant qu'ils le demeurent aux valeurs et buts pour lesquels tu les as rejoint.
A tes sujets tu devra garantir sécurité et bien-être autant que faire se pourra.
Jamais trahir tu ne devras.
Faire abstraction de tes sentiments sera nécessaire lorsque Justice tu délivreras. Seule la pitié peut être tolérée.
Ne te laisse pas emporter par la haine et la colère, sois guidé par ton devoir et ta foi.
Ne possèdes aucun préjugé à l'égard d'une personne, quelle que soit sa race. Tu dois simplement savoir discerner le bien et le mal là où ils sont.
La Nécromancie est une magie perverse et maléfique. Elle bafoue la mort elle même, sa pratique ne doit pas être tolérée.

Avec honneur, courage, sagesse et générosité tu te conduiras.
Courtoisie et vérité demeurent de mise.
Parole donnée toujours honnorée sera.

Vertu est ton maître mot.

Si jamais une loi ici énoncée
Tu devais transgresser
Sache que la confession
T'accordera peut-être pardon


La voie de l'épée:

L'épée que tu portes est un élément essentiel à ta quête et à l'accomplissement de ton devoir. C'est une arme noble. Si son porteur sait la manier, elle ne le trahira jamais. Tu dois viser la perfection dans son utilisation.
L'épée ne doit pas être une simple arme tenue dans ta main. Elle doit être le prolongement de ton bras et de ta pensée, elle doit prendre vie une fois sortie de son fourreau. On ne doit pas avoir une prise trop ferme, ni trop lâche, elle doit demeurer souple pour pouvoir s'exprimer.

Ces mots il les avait lus de nombreuses fois et les connaissait parfaitement. Pas question pour lui d'y désobéir et se déshonorer. Il passa doucement, presque affectueusement la main sur la page, puis ferma le Livre et sortit. Bien, à présent je dois commencer mes préparatifs. Après ces moments de recueillement, il sentit de nouveau l'excitation s'emparer de lui. Oui, le moment était enfin venu, après toutes ces années, il partait. Heleor pensait emporter le minimum, rien ne devait être superflu.
Il alla récupérer son armure nouvellement fabriquée par le forgeron pour l'occasion, son bouclier, sa fidèle épée, quelques affaires, dont son carnet de voyage, des rations de nourriture et d'eau, une certaine quantité d'adena, ainsi que quelques potions. Le bateau pour Gludin partait dans deux jours et faisait escale à l'île des murmures, où le jeune homme pensait descendre avant de se rendre sur le continent et de continuer sa route. Il avait encore un peu de temps, mais il tenait à être fin prêt. Et puis il devait faire ses adieux. Il ressentit un certain pincement au coeur à cette idée. Terminée, son ancienne vie, à présent le monde s'offrait à lui.
Ses préparatifs achevés, Heleor occupa donc les dernières heures avant son départ à saluer les êtres qui lui étaient chers, puis, le moment venu, il partit en direction du port, accompagné de son frère. Avant l'appareillage, les mots de ce dernier furent les suivants :
-Si je l'avais pu, je t'aurais accompagné, mais mon devoir me retient ici. J'ai confiance en toi, frère, je suis sûr que tu sauras faire face à ce qui t'attend avec brio.
Heleor lui sourit
-Je te remercie, Jilian. Sois certain que je ferais de mon mieux.
-N'oublie pas de nous envoyer de tes nouvelles quand tu le pourras. Que nous ne demeurions pas trop inquiets.
-J'y penserais dès que ce sera possible.
Sur ce, ils s'étreignirent une dernière fois et Heleor s'engagea la passerelle pour embarquer.
Au moment du départ, il embrassa une dernière fois du regard la région où il avait passé son enfance, tandis que le bateau s'éloignait, emporté par les vents du destin.

[Ici s'achève la première partie du background d'Heleor, la seconde partie se situe au moment où il retourne chez lui, après les diverses aventures vécues sur Azurya.]

Heleor contemplait les flots, guettant avec impatience l'émergence prochaine de sa terre natale à l'horizon. Durant son service au sein de l'Anarorë, il avait parfois rendu visite à son père et son frère, mais cette fois-ci, la dernière missive de ce dernier s'était avérée assez inquiétante pour qu'Heleor s'embarque précipitamment sur le premier navire venu qui l'amènerait à destination. Il n'avait pas pris le temps de faire des adieux en règle, mais la lettre de son frère l'avait persuadé de se presser, bien qu'elle ne contienne aucune information consistante. A son arrivée au port, il prit rapidement la route du domaine familial, à dos de stryder, menant sa monture à marche forcée. Un vague malaise s'emparait de lui au fur et à mesure de sa progression. Entre le temps que la lettre lui parvienne et son retour, il s'était écoulé trop de jours à son goût, et plus il se rapprochait, plus il remarquait que quelque chose n'allait pas. De nombreux champs semblaient avoir pourris, alors que c'était l'époque des moissons, et une odeur proprement insupportable baignait les environs. Heleor tira sur les rênes de sa monture, apercevant l'origine de cette fragrance. Le bétail qui paissait habituellement gisait à présent mort sur l'herbe auparavant verte, et les nombreux cadavres étaient dans un état de décomposition avancée. Il précipita alors le pas du stryder, faisant appel à son éducation et à sa maîtrise de lui pour éviter de se laisser aller à la panique. L'angoisse et la peur mènent sur des chemins bien plus sombres, se rappela t'il. Avançant à toute vitesse sur le chemin, il arriva bientôt à l'orée du bois qui encadrait le domaine de son père. Laissant là sa monture, qui renâclait à aller plus loin, il s'engagea sous les arbres qui semblaient envahis par la gangrène, de la sève purulente suintant de leurs nombreuses plaies. Les rares feuilles qui demeuraient étaient d'une couleur noire, mais la plupart étaient tombées et formaient un tapis malodorant sur le sol, qui étouffait le bruit des pas du chevalier. Il nota aussitôt le silence anormal et oppressant qui régnait, témoignant du fait que les être vivant résidant habituellement en ces lieux les avaient désertés. Même le ciel était d'une couleur gris sombre, et obscurcissait fortement la lumière du jour. L'armure blanche d'Heleor contrastait en tout point avec cet environnement, et cette image lui rappelant son rôle de chevalier, servant de la lumière d'Einhasad, il parvint à conserver sa volonté, ne laissant pas son coeur flancher. Il entonna, en murmurant, des prières à sa déesse.
A son arrivée près du mur d'enceinte, il constata que les larges portes de bois gisaient, défoncées, tenant à peine sur leurs gonds. Le mur lui même ne semblait pas avoir subis de dommages particuliers. Soudain, la sourde crainte qu'Heleor avait conservée au fond de son coeur de révéla comme une évidence, il ne pouvait plus la nier, c'était trop flagrant et l'air en était saturé: la nécromancie était à l'œuvre ici. Contenant à grand peine une vague d'horreur qui faillit un instant le submerger, il parvint néanmoins à conserver son courage et, dégainant son épée, il franchit les portes.
Les baraquements de la garnison étaient en ruine, et le feu de la forge semblait avoir embrasé tout le bâtiment. Un comité d'accueil macabre l'attendait plus loin, face à la demeure de pierre où résidait la famille d'Heleor depuis de nombreuses générations. Des cadavres humains en décomposition se trouvaient là, autant d'hommes que de femmes et d'enfants, certains portant encore des lambeaux de vêtements, d'autres arborant des armures et des épées, toutes atteintes par la rouille. Des cadavres qui avaient la particularité de pouvoir se déplacer.
Les prières que prononçait le jeune homme s'étranglèrent brutalement à ce spectacle. Il comprit que ceux qu'il avait en face de lui étaient en réalité les habitants des lieux, les sujets de son père, qui avaient été autrefois vivants, et qu'il devait avoir connu. Crispant la main sur la poignée de son épée, il ne parvint pas à retenir des larmes de colère et de chagrin, mais il s'avança néanmoins avec la ferme intention de franchir les portes de la demeure. Celui qui avait craché sur la vie de ces êtres, et qui ne leur avait même pas accordé le repos dans la mort, devait payer.
Les créatures se tournèrent vers lui, émettant des sons inintelligibles, et firent mine de lui barrer le passage. Pardonnez-moi pour ce que je vais être obligé de faire, j'aurais voulu l'éviter mais il ne m'en donnent pas le choix. Prononçant alors quelques mots, il pointa la paume de la main sur l'un des morts-vivants, qui faut aussitôt brûlé par l'énergie divine émanant du paladin. Le reste de la troupe, après un temps relativement long, s'écarta dans ce qui pouvait s'apparenter à une fuite.
Une fois devant les portes, intactes, celles-ci, Heleor ressenti un frémissement parcourir tout son être. Une aura maléfique émanait de l'intérieur, et il comprit que l'auteur de cette abomination se trouvait encore sur les lieux de son crime. Poussant les larges battant, il pénétra dans la bâtisse, dont l'intérieur était sombre et froid. Les quelques morts vivants qui y demeuraient ne firent plus mine de vouloir l'arrêter. Il se dirigea alors vers la chapelle, sentant qu'il y trouverait ce qu'il cherchait. Entrant dans la nef, il referma la porte derrière lui, produisant alors un son qui se répercuta sourdement. Ne bougeant plus d'un pouce, il observa les lieux, qui avaient radicalement changés. En effet, sur les colonnes, des corps torturés et contorsionnés dans l'expression de terribles souffrances avaient été sculptés avec un luxe de détails effrayant. C'est alors qu'Heleor entendit de légers coups frappés régulièrement contre la pierre, et qu'il aperçut une silhouette, montée sur l'autel, qui semblait très absorbées par l'étude de la statue d'Einhasad.
D'une voix forte, mais peu assurée, le jeune chevalier s'approcha et interpella celui qui, lorsqu'il se retourna, s'avéra être son grand frère, Jilian, qui lui adressa un sourire affable.
-Petit frère, tu arrive à temps, je viens tout juste de terminer mon œuvre.
Heleor, muet de stupeur, ne put que regarder son frère s'écarter de la statue et sauter à bas de l'autel. Le visage autrefois rassurant de la déesse n'était plus qu'un masque d'horreur pur, une face tordue dans un rictus douloureux, empreint de malveillance.
-Qu'en dis-tu ? C'est ma dernière œuvre, celle que je trouve de loin la plus réussie.
Puis, posant son regard sur le paladin, il sembla soudain se rappeler d'une chose, et son sourire devint moqueur.
-Tu as changé, petit frère, tu as l'air...différent. Te voir la dans cette armure...c'est...amusant !
L'intéressé regardait fixement son ainé, la stupeur faisant place à la rage et à l'incompréhension. Sa voix tremblait.
-J'ai...changé ? C'est toi qui a changé...es-tu réellement celui qui fut mon frère ? Qu'a tu fais...? Pourquoi...?
Jilian prit une voix douce et compatissante, comme s'il s'adressait à un simple d'esprit.
-Heleor, Heleor. Quel naïf tu peux faire, parfois. Tes beaux idéaux, la chevalerie, toutes ces inutiles valeurs inculquées par père, tout cela n'est que foutaises. Oui, ce n'est que foutaises, par rapport à cet absolu, à cet immense pouvoir qui réside dans la magie que nous négligeons et réprouvons, la nécromancie. Tu ne peux pas imaginer le sentiment de plénitude que cela apporte...Ca, ce n'est pas de la poudre aux yeux. Avoir autant de pouvoir que la mort elle même, être son égal...c'est tout simplement magnifique. Cette déesse, que père et toi servez aveuglément, ce n'est qu'une inutile chimère dont il faut se débarrasser.
Heleor pointa son épée vers son frère, alors que des larmes coulaient le long de ses joues. Sa main tremblait.
-...depuis quand ? Toi...mon propre frère...depuis quand as-tu cédé à une telle perversion ? Ne te rends-tu pas compte que les paroles que tu profères sont le signe même qu'elle te possède et se sert de toi ? Tu sais bien qu'à présent...je ne puis te laisser continuer ainsi...tu as déjà causé trop de mal.
Puis, Heleor ne put contenir sa rage.
-COMMENT TOI, MON PROPRE FRERE, AS TU PU DETRUIRE AINSI LE MONDE DANS LEQUEL NOUS AVONS GRANDIS ! ELIMINER AINSI TOUT CEUX QUI NOUS ETAIENT CHERS ! ET TE RENDS-TU SEULEMENT COMPTE DES ACTES QUE TU AS COMMIS ? ET DE CE QUE TU ME POUSSES A FAIRE ?
Jilian sourit alors.
-Cela fait quelques temps que je me suis interessé à la question. Mais, tu n'as pas besoin d'en savoir plus. Vu que tu sembles ne pas vouloir comprendre, et demeure la même créature bornée que père, je vais devoir parfaire mon œuvre avec la pièce maîtresse que tu constitue.
Sans plus de cérémonie, il dégaina son épée et porta un violent coup de taille au cou d'Heleor, qui réagit cependant assez vite pour contrer efficacement le coup. Puis, aussi soudainement, Jilian attaqua son frère à l'aide de la magie noire, mais l'attaque fut dissipée en grande partie par le pouvoir du paladin. A l'évidence, il était encore loin de l'apogée de sa puissance. Ils échangèrent ensuite quelques coups d'estoc autant que de taille, avant qu'une attaque de Jilian ne laisse une ouverture dans sa garde. Le paladin transperça son frère tout en plaquant sa main sur son visage et lui envoya une décharge d'énergie divine qui brula son adversaire, achevant ainsi sa tâche.
Cependant, au moment ou son frère succombait, la magie qui l'habitait et le consumait se déchaina contre Heleor, tentant à son tour de pervertir son âme. Le pouvoir du paladin ne parvint pas entièrement à contenir cette vague, et le choc lui fit perdre connaissance.
A son réveil, il sentit que cette magie qui avait réussi à pénétrer en lui, restait tapie au fond de son être, comme une tache indélébile, et lui rappellerait toujours ce jour funeste où il avait du commettre un fratricide, bien que ce fut un juste châtiment pour son frère, qui avait failli à leur famille.

Plus rien ne rattachait Heleor à ce lieu; le domaine de son père n'était plus, et beaucoup de ceux qui avaient été ses sujets non plus. Il quitta donc la région, mais s'arrêta à un village qui semblait avoir été épargné par le fléau. Les villageois le reconnurent et lui apprirent alors qu'une jeune fille, agée de huit ans, avait été déposée ici par une domestique, quelques jours auparavant. Heleor se trouva muet de stupeur lorsqu'il comprit qu'il s'agissait là de sa nièce, Dalia. La fille de son frère, qu'il avait cru morte avec le reste des siens, portait effectivement un médaillon aux armes de leur famille. Sa mère l'avait éloignée de Jilian, en ayant pressenti que ce dernier n'était plus le même. Heleor comprit que son devoir, à présent, était de s'occuper du dernier membre de sa famille qu'il lui restait.
Lorsqu'il se retrouva face à elle, il n'osa pas la regarder directement. Il s'efforca de ne pas faire apparaître la terrible douleur qui l'accablait. Elle ne devait pas savoir, elle était trop jeune pour connaître la vérité. Il fut assez bref, réunit les affaires de Dalia, remercia le villageois qui l'avait accueillie, et il s'en fut avec sa nièce, loin des vestiges de leur passé.

Les années passèrent, Heleor devenait plus vieux, et approchait de son trente-deuxième anniversaire. Ils avaient passé ces dernières années à voyager de part les terres et les continents, Heleor offrant ses compétences là où elles étaient utiles.
Il avait vu Dalia grandir, non sans en tirer une certaine satisfaction. Elle n'avait pas la chance d'avoir des parents, mais il avait fait de son mieux pour faire office de père, bien qu'elle sachât qu'il était en réalité son oncle. Il s'était juré de l'élever et de la protéger du mieux qu'il le pouvait, et c'est ce qu'il avait fait jusqu'à présent. Il lui avait servi de maître d'armes, lui avait appris la théologie, avait poursuivi son éducation, mais s'était refusé à lui enseigner les préceptes qu'il suivait lui même. Il pensait que c'était à elle de choisir la voie qu'elle souhaitait suivre.
Il s'était posé de nombreuses questions. Lui avait-il offert toute l'affection qu'il lui devait ? Pouvait-il compenser la famille qu'elle n'avait plus ?
Quand pourrait-elle savoir ? Il s'était toujours refusé à lui parler des évènements qui précédaient le moment où il l'avait recueillie, même si, en grandissant, les questions de Dalia à ce sujet n'avaient pas manqué. Elle était maintenant assez grande pour se douter que le silence obstiné de son oncle masquait une triste réalité. Heleor craignait le jour inévitable où il devrait lui révéler que ses parents étaient décédés, mais surtout qu'il avait de ses propres mains tué son frère, le père de Dalia. Un jour, elle aurait le droit de savoir. Et il avait peur, peur de sa réaction.
Le jour des dix-huits ans de sa nièce, il décida qu'il était temps de renouer avec un passé qui fut plus prospère, et ils entamèrent leur voyage vers les terres d'Aden.

Essayez d'aérer vos écrits le plus possible, si vous voulez qu'ils soient agréables à lire, et qu'on ne s'y pique pas les yeux.

Autrement, très bon récit.
[Validé]