Iarys, ou la recherche de la Noblesse.

Journée faste que celle d'hier. Ou, attendez, celle d'aujourd'hui ?
Iarys ne savait pas. Elle était restée en état de semi-méditation depuis le départ de Lilea, en haut des fortifications de la ville de Rune, dans une posture contemplative. Elle regardait la mer, les vagues, tout en songeant à une gigantesque fresque confuse mêlant présent, avenir, et passé.


Elle était revenue au Temple, un an après son bannissement. Ses intrigues, sa langue habile, avaient joué leur rôle : la majorité des prêtresses ayant assuré son éducation avaient été évincées (sinon tuées) au profit d'autres, qui, non seulement ne lui barraient pas le passage, mais en plus lui souriaient en reconnaissance.
Iarys n'en n'avait cure : elle méprisait ces prêtresses comploteuses, qui ne luttaient pas pour Shilen mais bien pour avoir le droit de dire "Leur mort est la volonté de Mère".

Néanmoins, elles lui étaient nécessaires pour accéder enfin aux archives du Temple, d'où elle avait été chassée lorsque, plus jeune, elle avait tenté de s'y introduire. Là-bas, s'assurant qu'elle était bien seule, elle se mit à fouiller avec une minutie qui traduisait bien son habitude des livres. Elle avait une idée de ce qu'elle cherchait, aussi ne lui fallut-il qu'une petite heure pour trouver ce qu'elle cherchait.


Du haut des remparts de Rune, la belle Sombre regardait le soleil se lever en souriant. Oui, cette découverte avait été le premier rayon de soleil dans sa triste vie de recluse : sa mère était une redoutable guerrière, noble par sa mère à elle, et elle avait pu obtenir la preuve qu'Iarys était sa fille. Néanmoins, le nom du père était introuvable au Temple, pour une raison inconnue, et elle se souvenait avoir passé des jours de frustration à éplucher des registres entiers avec espoir.


Un intérieur sombre, des mouvements confus, des paroles échangées d'un voix douce.
Un bras couvert de plaies sanglantes. Une main à la peau sombre qui les refermait tendrement, recréant une peau neuve qu'elle s'empressait de caresser.
Un beau visage marqué par le commandement et les batailles. Lui.


Elle secoua la tête. Trop de pensées étaient tournées vers lui dernièrement. Il fallait se ressaisir.

Tu l'aimes ?
Ce n'est pas la question...
Lui aussi refuse d'explorer ses sentiments envers toi.
Il est noble.
Toi aussi.
Je suis Sombre.
Il n'y a que ces humaines qui semblent en tenir compte.
Elles ne l'aiment pas. Elle l'étouffent, le blessent, se servent de leur affection comme d'une gigantesque cage dans laquelle il ère, tel un pinson prisonnier.
Tu lui as laissé le choix. C'est très noble de ta part...
Est-ce-que je vaux mieux qu'elles ? Après tout, si je pouvais...
Tu ne cherches pas à le forcer. Tu vaux mieux qu'elles.


Iarys rouvrit les yeux, qu'elle avait fermé inconsciemment pendant son introspection douloureuse, et se força à une plus grande discipline mentale.


Quelques jours plus tôt, il lui avait fait visiter le château de Rune... Elle avait perdu tout espoir de retrouver la moindre trace de son père après l'échec de Giran, mais il lui fallait s'obstiner, sans quoi elle perdrait définitivement de vue ses origines.
Jamais elle n'aurait cru trouver dans cette bâtisse la branche manquante de sa généalogie, et pourtant, elle était là, en toutes lettres.

Un rapport d'espionnage mentionnait clairement que sa mère, Khamilya Danadora, fréquentait, quelques mois avant la date de naissance d'Iarys, un seigneur de guerre Sombre connu sous le nom de Illenoh, qu'ils semblaient s'être mariés, et que leurs suivants attendaient avec impatience leur enfant. Le rapport mentionnait également la dangerosité de l'alliance de deux nobles par le mariage, formant ainsi une unité rare dans le peuple Sombre.


Sourire amer. Rêve fugace.
L'"unité" qu'aurait du incarner Iarys n'a jamais été. Ils ont tous les deux été tués, et leur fille dépossédée des biens et terres associés au titre de Dame.
Rien de ce qu'elle avait trouvé ne lui avait permis d'identifier les assassins ou les bénéficiaires de ce double meurtre.
Se relevant, elle tourna le dos à la mer pour s'en aller, après avoir laissé échapper un soupir de tristesse, qui fut transporté par le vent malicieux jusqu'au port, communiquant sa peine aux marins affairés.

Son corps se sentait bien.

Après tout une journée passée à comploter, démêler les intrigues, courir inutilement après des Orcs et embrasser un seigneur ambitieux, ce lit royal, chaud et confortable, était un vrai plaisir. Le reste de la pièce était d'un confort rare, et convenait très bien aux goûts de la Sombre, pourtant exigeante en la matière.
Enfin, ses muscles pouvaient se détendre, enfin, la tension pouvait être évacuée, enfin le repos était à portée de main.

L'esprit d'Iarys, par contre, était toujours aussi agité.

Il s'était endormi à coté d'elle, à bout de force. Il avait eu la même journée qu'elle, peut-être en pire, et elle s'était permise de le prendre contre elle doucement, afin de ne pas le réveiller, caressant ses cheveux et son visage, qui paraissait soucieux, même dans son sommeil.
Elle ne revenait toujours pas de sa décision... Comment avait-elle pu accepter de ne pas profiter de ce moment ? Elle aurait pu, il était à elle, elle avait goûté la saveur de ses lèvres, elle avait effleuré sa peau... Et pourtant, elle avait accepté de le laisser se reposer, et de veiller sur lui.

Oh, bien sûr, des progrès avaient été faits... Elle se souviendra longtemps de la suavité de sa bouche, de la douceur de son épiderme... Et elle comptait bien en disposer à l'avenir.


Elle secoua la tête. Etait-elle en train de devenir folle ? C'est un humain !
Un humain qui pourrait être un sombre.
Une race inférieure !
Il en a l'ambition, l'intelligence, et la malignité.
Un voleur de connaissances, un usurpateur, un...
D'une beauté et d'un charisme rare.
Un incroyant, un infidèle, un...
Un noble habitué au commandement et à la prestance d'un Lord.
Tu es censée le séduire, Iarys, pas en tomber amoureuse !
Où est la contradiction ?
Et ta fidélité à Mère ? A ton peuple ?
Quel meilleur poste pour le protéger que celui d'amante d'un Lord humain à l'ambition déclarée ?
Il ne t'écoutera pas !
Je connais ses plans. Je crois que je sais ce qu'il va faire, et ce n'est pas contraire aux intérêts des Sombres... Cela va même dans le bon sens. Il vaut mieux rester auprès de lui et s'assurer qu'il ne fasse pas de mal à mon peuple. Douterais-tu de tes talents, Iarys ?
Non, mais ne le sous-estimes pas.
C'est pour cela que je l'aime.


Iarys secoua à nouveau la tête. Il fallait rester concentrée...
Soit, elle était amoureuse de lui. Il faudra faire avec à l'avenir. Néanmoins, il était plaisant de voir que, pour une fois, l'utile s'était joint à l'agréable...
Elle allait s'occuper de lui, veiller sur sa santé, et s'assurer que ses plans n'échouent pas. Le bien des Sombres en dépendait... Sans parler de son bien à elle.


Le lendemain, lorsqu'il s'éveilla, il la trouva allongée à côté de lui, profondément endormie. Avec un sourire, il recouvrit son corps désirable avec la couette du lit, et sortit sans un bruit pour la laisser dormir. Elle avait veillé jusqu'à l'aube, veillant sur lui et réfléchissant à son propre avenir, et son corps épuisé réclamait à présent son tribut de sommeil.