[Humaine] Uvanée Delsanor

Uvanée Delsanor

Je fus réveillée par les ronflements désagréables de l’homme qui me tournait le dos, allongé face au mur, et c’est en silence que je quittais le lit que nous partagions. Je m'habillais à la hâte et toujours en prenant garde de ne pas faire de bruit, de peur de ne devoir offrir une fois encore mon corps à cet individu dont le nom m’était d’ailleurs inconnu. Dans la semi-pénombre de la pièce, je récupérais mon bâton et mes livres puis j’appuyais sur la clenche de la porte. A mon grand malheur cette dernière grinça et immédiatement s’ensuivit un grognement et un juron sonore, à mon adresse. « Héla, catin, où tu te tires comme ça ? J’ai payé pour la nuit alors je t’aurais toute la nuit ! » Sur ces mots il se leva et d’un pas tonitruant et maladroit s’avança vers moi, puis il claqua la porte que j’avais entrouverte et, me saisissant par le poignet, me jeta au sol. Ma joue embrassa le bois froid et dur du plancher quelques secondes avant que je ne sois tirée par les cheveux et vulgairement balancée sur le lit. Je vis dans un rayon de lumière une main grossière s’abattre sur moi pour m’arracher mon chemisier, puis je sentis sa jumelle se glisser plus bas pour me défaire de ma jupe. Je fermais les yeux, prête à subir une nouvelle fois les assauts bestiaux de ce malotru.
Cela faisait dix minutes que j’avais quitté l’auberge précipitamment, ayant tout juste prit la peine d’enfiler un manteau pour couvrir ma quasi-nudité, et déjà des cris retentissaient dans le village. Il semblait qu’on avait découvert le corps de mon camarade de chambrée avant que j’ai pu m’enfuir. Je savais pertinemment que l’aubergiste me reconnaitrait, je n’avais donc plus beaucoup de temps pour me faire oublier. Loin de m’inquiéter, je me répétais sans cesse que cela n'aurait pas pû se passer autrement et que de toute façon il l'avait mérité... Voilà plusieurs jours déjà qu'IL se manifestait plus fortement qu’habituellement dans mes rêves, et de moins en moins je supportais la caresse des mains d'un autre homme, qu'il soit doux et galant ou aussi grossier que mon dernier amant.
Une fois en lieu sûr, assise sous un saule et à des lieues de la ville, je me pris à réfléchir sur mon passé et mon avenir. Ma rencontre avec Menkirn me revint alors en tête de façon incroyablement précise…

J’avais sept ans, je venais d’ailleurs de les fêter et en cette occasion j’avais reçu de mon père un magnifique livre relié en cuir et gravé d’une rune elfique qui, d’après ce que le marchand lui avait dit, signifiait savoir et espoir. Je m’étais empressée de le feuilleter et d’en lire les premières pages : c’était un conte qui retraçait l’histoire d’un jeune elfe qui cherchait à sauver sa bien-aimée qu’un sorcier Sombre avait emprisonnée dans les songes d’un grand dragon endormi. Je dévorai le bouquin en moins d’une semaine, puis je me suis mise à le relire, encore et encore, jusqu’à en connaître chaque ligne et chaque phrase par cœur. A chaque fois que je le terminais, je versais de nouvelles larmes tant la fin m’attristait, puis je le rouvrais à la première page. A la fin du conte, le héros, qui s’appelait Menkirn, sortait victorieux d’un duel contre le sorcier Sombre, Vaalkar, et se retrouvait face au dragon avec, dans sa main, un élixir lui permettant de pénétrer dans les songes de la créature et un autre permettant à qui le boirait d’en sortir. Aussi il savait que pour délivrer sa bien-aimée, il lui faudrait rester lui-même prisonnier à sa place et lorsqu’il la rejoignit, il lui mentit en lui expliquant qu’il avait une autre potion et que bientôt il la rejoindrait. Elle bu alors l’élixir et rejoignit la réalité, et Menkirn, lui, ne la rejoignait que les nuits, ayant appris à voyager dans les rêves d’un être à l’autre. Toutefois, il comprit rapidement qu’il s’était sacrifié pour une femme qui ne l’aimait pas et qui n’avait pas attendu longtemps son retour…
Chaque soir je m’endormais en rêvant de ses aventures, affrontant des hordes entières d’orcs ou résolvant les énigmes des anciens sages nains avant d’affronter le terrifiant Vaalkar. Si bien qu’une nuit il vint de lui-même prendre place dans mon esprit et s’adressa directement à moi, puis il revint les nuits qui suivirent pour finalement décider de ne plus me quitter. Les années passèrent, et je gardais le secret sur mon compagnon nocturne… Puis un jour il trouva le moyen de rester constamment avec moi, à chaque instant où je sombrais dans le sommeil ou que la fatigue m'arrassait. Je l'aimais.

Revenant doucement à la réalité, je me levais et pris la route pour Giran, où je comptais m’installer et me faire oublier…