[Elfe]Nidhagg Lan'Meluin

Midi presque. Les ombres des formes longilignes de quelques elfes présents dans la clairière étaient réduites à leur strict minimum, leur peau claire reflétant la lueur vive du Soleil d'une journée d'été sans nuage. Une journée idéale, en bref. Une petite dizaine d'elfes formaient un cercle autour d'un couple et d'une prêtresse d'Eva. La jeune femme gémissait doucement en serrant la main de son amant. L'accouchement ne devrait plus tarder, une question de minutes après près d'un an à voir s'arrondir son ventre. C'était son premier enfant, et sans doute le seul, étant donnée la rareté des naissances dans ce peuple encore marqué par son Histoire. Mais bien au-delà de cela, le temps était à la joie dans ce recoin de la forêt elfe. Cela faisait trois ans qu'il n'y avait pas eu de naissance dans ce clan, un clan qui, sans être reclus, vivait assez loin des autres. Au coeur de la forêt, ils avaient bâti leur village, en communion avec leur nature profonde : l'Eau et la Nature. Au contraire des cathédrales grandioses des humains, droites et hautes de leurs pierres dressées pour Einhasad, leur lieu de culte était simple mais cependant magnifique ; autour d'une source naturelle faisant jaillir un fin filet d'eau claire d'un amas rocheux, la Nature avait été aidée de manière à ce que les plus belles plantes poussent en abondance, créant un parterre de fleurs blanches, rouges, pourpres et mille autres teintes encore. Devant la source, un pupitre avait été dressé, autour duquel grimpaient des lierres aux feuilles d'un vert le plus pur, marquées de dessins blancs, si bien que chacune d'elles semblait une oeuvre d'art peinte avec patience par les mains fines des elfes. C'est à cet autel qu'étaient menées les messes à la gloire d'Eva, déesse de l'Eau libre et sauvage, mère et protectrice des elfes. Ou tout du moins celle que tous considéraient comme leur mère depuis la traîtrise de Shilen.
La prêtresse entama une longue prière, sous la forme d'une douce mélodie louant la déesse de l'Eau. Le visage de la jeune mère se crispait de plus en plus sous la proximité de l'accouchement et la douleur qui l'accompagnait déjà. Mais malgré cela, un sourire passait outre cette coque de grimace. La prêtresse cessa son chant et vint s'agenouiller devant la jeune elfe, allongée sur un lit de mousses et de feuilles. Et quelques minutes plus tard, l'accouchement s'étant déroulé étonnement vite et facilement, elle serrait dans ses bras un petit elfe emmitouflé dans une couverture du plus fin tissu. Les yeux d'émeraude du bébé fouillaient déjà son environnement, les pleurs de la première respiration s'étant tus après quelques secondes à peine. Son regard s'arrêta plusieurs minutes sur son père. C'était un elfe assez jeune, qui n'avait pas encore fêté ses deux siècles. Ses yeux fins étaient gris-bleu, épanouissement d'un visage possédant tous les attraits de sa race. C'est de lui que l'enfant avait hérité la chevelure d'or lisse qui allait bientôt entourer son visage. Finalement, le regard du nouveau-né se tourna vers le sein de sa mère pour sa première tétée.
Quelques heures plus tard, alors que le Soleil arrivait à mi course de sa descente, le couple se présenta au temple, au devant d'un vieux prêtre et d'une grande partie des villageois. La mère portait son fils dans une étoffe décorée de fils d'argent, tandis que l'enfant était vêtu d'une tenue d'une blancheur immaculée parcourue d'arabesques en fils d'or. L'officiant sourit et une mélopée s'éleva dans le lieu sacré. Puis, d'une voix solennelle mais douce et pleine de sagesse, il entama la prière rituelle :
« Eva, mère de l'Eau et Guide de notre peuple, nous en demandons aujourd'hui à Ta présence afin que Tu vois et protège la vie de cet enfant, fils de Tes enfants.
– Nous en appelons à Toi afin que Tu veilles sur lui comme Tu veilles sur nous, car il fait partie de notre communauté
– Eva, Regarde et Vois le premier choix de cette toute jeune lueur. »
À ces mots, l'elfe jeta un regard aimant à son amant et déposa doucement leur fils sur le parterre de fleurs. L'enfant avança à quatre pattes sur l'herbe légèrement humide, contemplant les parures éclatantes de fleurs. Il en caressa plusieurs de sa petite main, son geste provoquant un frisson chez certains tellement la grâce et la douceur elfes y étaient déjà présentes. Puis, il s'arrêta sur une et, délicatement, la tira, la tige se coupant, et l'approcha de son visage comme pour en sentir le parfum. Quelques murmures parcoururent les invités, tandis que le couple s'échangeait un sourire mêlant la satisfaction et l'émotion. Le prêtre observa plusieurs minutes durant la mauve sauvage que tenait l'enfant et lui demanda d'une voix douce :
« Es-tu certain de ton choix ? »
L'enfant, semblant tout comprendre malgré son âge, tendit fébrilement la fleur vers l'homme en un « Ga » assuré. Celui-ci saisit alors la fleur et la jeune mère vint reprendre son fils sur le sol, le berçant en souriant. L'officiant se replaça devant le pupitre et pose la fleur dans un pot sculpté directement dans celui-ci. Et il reprit la parole devant l'assemblée :
« Eva, Sois témoin du choix de Ton enfant car il le promet à un destin hors du commun.
– Il a choisi de Te faire honneur en faisant revivre la race des elfes, en faisant connaître à nouveau sa gloire. Il a choisi une vie libre, une vie de voyages. Il a choisi le chemin qui lui fera rencontrer le monde et ses habitants. Il a choisi de croire en la paix des peuples et des races.
Le prêtre contourna le pupitre et prit le bébé dans les bras de sa mère, puis retourna près de la source.
– Nidhagg Lan'Meluin, fils d'Eltar Lan'Meluin et d'Ailina Nolath'ari, tu as fais ton premier choix et tous le respecteront car tel est le baptême d'Eva.
Le prêtre s'agenouilla devant le fin filet cristallin.
– Eva, Déesse, Entends et Scelle ce choix de Ton onde pure et bienfaitrice, et Offre Ta bénédiction à cet enfant.
À ces mots, tous se levèrent et le vieil elfe plongea l'enfant dans le petit bassin qu'alimentait la source. Puis, après quelques secondes, il l'en ressorti et le rendit à sa mère, qui le couvrit avec la couverture, puis elle s'inclina devant lui, imitée par son amant puis par toute l'assemblée, et tous murmurèrent une même prière. Puis enfin, le temple se vida et la famille rentra à l'abri de leur cabane pour leur première nuit.





Un manteau de neige immaculée couvrait la forêt elfe. L'aube se terminait, les chants des oiseaux n'ayant pas fuis le froid de l'hiver se faufilaient entre les branches recouvertes de givre. L'infime craquement de la neige foulée ne perturba nullement la vie sylvestre. Collé contre l'écorce d'un vieux chêne, caché peut-être, un jeune elfe humait l'air. Il n'était guère plus grand qu'un enfant de huit ans. Sa chevelure blonde se cachait sous une épaisse capuche de fourrure qui abritait une queue de cheval naissante. Il portait un manteau chaud en fourrure blanche. Ses yeux d'un vert émeraude semblaient vouloir percer la couche de neige pour voir au delà, plus loin. Puis, il revint à la surface, aux traces sur le sol. Infimes, presque invisibles. Mais il suivait cette piste depuis plusieurs jours. Il s'était éloigné du village de plusieurs dizaines de kilomètres.
Soudain, il releva la tête, alerté par un murmure transporté par le vent. Il sortit de son abri et regarda la petite clairière. Elle était là, en plein milieu. Elle le regardait, fixement, de ses yeux de saphir. Il observait chaque détail de sa robe, sa crinière, ses pattes. Il s'avança, et elle ne bougea pas. Si bien qu'il arriva à portée de sa main. Il tendit le bras et effleura son front, frôlant sa corne spiralée aux reflets d'une perle. Alors, la licorne s'évanouit, disparaissant purement et simplement sous la main de l'enfant, laissant sur le sol la seule trace de ses sabots et celle d'un cercle magique. Une voix résonna alors dans son dos.
« Félicitations Nidhagg. Tu as réussi la première épreuve.
L'elfe se retourna vers son maître, le regard encore brillant. Quatre jours auparavant, il lui avait révéler le premier test sur le chemin de l'apprentissage de l'art de l'invocation. Il devait trouver seul une licorne sauvage. L'elfe, d'âge mûr, mais pas vieux pour autant, reprit la parole.
– Mais ne te réjouis pas trop vite, car la seconde t'attends de suite.
L'enfant ne sut comment réagir. Il était exténué, cette quête l'avait plus épuisé qu'il ne l'avait d'abord cru. Mais son maître ne lui laissa pas le temps de se poser de questions.
– Vois-tu ce dessin sur le sol, là où était la licorne ? Tu vas devoir la rappeler. Regarde le, mémorise le. Ensuite, reproduis le. Fais glisser ton flux magique pour qu'il épouse cette trace sur le sol.
Le jeune elfe déglutit timidement. Certes, il avait appris la magie...mais sa maîtrise était encore celle d'un débutant et surtout, d'un enfant ! Cependant, il ne se laissa pas décourager. Il fixa plusieurs minute la délicate arabesque. Chaque licorne avait la sienne, et il était impossible de prévoir le dessin du cercle d'une licorne. C'était pour cela que chaque étudiant devait trouver la sienne avant de pouvoir l'invoquer. Les bottes en cuir de l'enfant firent craquer la neige et il se plaça juste devant le cercle, sous le regard attentif de son maître. Il ferma les yeux et essaya de revoir le dessin dans son esprit. Sans qu'il ne s'en rendît compte, un fin fil bleu de magie pure apparu sur le sol, s'écoulant dans les lignes laissées dans la neige. Rapidement, l'image de la licorne se substitua à celle du cercle dans son esprit. Alors, le cercle magique se forma bien plus rapidement sur le sol et commença à luire, élevant un halo bleuté au dessus de la neige. Soudain, dans un sifflement caractéristique, la lueur devint éblouissante, et une silhouette se forma juste devant l'enfant. Alors, après quelques secondes, la lueur s'évapora et la licorne se tenait à nouveau sur le sol gelé. Le maître écarquilla les yeux. Au premier essai ! À son âge ! Il avait non seulement compris qu'il ne devait pas penser au cercle mais à la licorne, mais surtout il avait su d'instinct associer à la créature mystique son cercle ! Cela prenait habituellement plusieurs semaines aux étudiants, pourtant souvent adolescents voire adultes. Loin de tout cela, l'enfant était pendu au cou de la licorne, émerveillé par ce qu'il venait de faire. La créature fabuleuse était d'une docilité exemplaire, ayant reconnu son maître et désormais ami. Les doigts de l'elfe étaient perdus dans la crinière de l'animal, ses yeux brillaient d'une lueur inégalée. Le maître se retira alors en silence, les laissant seuls. Le lendemain matin, c'est sur le dos de sa nouvelle compagne que l'enfant rentra chez lui, la licorne retrouvant seule le chemin d'un village qu'elle n'avait pourtant jamais connu, rendant Nidhagg aux yeux emplis de fierté et de bonheur de ses parents.

Le jeune elfe entrait dans l'adolescence. Comme sa fleur l'indiquait, il était de plus en plus souvent en dehors du village. Chaque matin, ses parents le voyaient partir, et le soir parfois revenir, partagés entre le tiraillement de voir leur fils s'éloigner d'eux et la fierté de voir ce qu'il devenait : un invocateur toujours plus doué et surtout un elfe fidèle à son symbole. Mais par dessus tout, ils passaient de longues soirées à s'inquiéter de son état. Pourtant, il n'était pas si vulnérable que cela dans ses errances ; son enseignement avançait toujours : il avait appris l'invocation des cubics et avait rencontré une autre licorne. Et par dessus tout, son maître veillait tout particulièrement sur lui, plus que sur ses autres élèves. Il croyait en lui, en son potentiel à le surpasser. Car tout maître rêve de voir un jour un de ses élèves le dépasser. Ainsi, il lui avait donné plusieurs cristaux focalisateurs, et appris comment le utiliser pour lui parler, afin qu'il sache quand son protégé était en danger et le rappeler à l'abri. De plus, il lui avait offert quelques parchemins de retour de sa conception. Mais Nidhagg n'en avait encore jamais eu besoin. Il voguait dans la Nature guidé par le vent et l'eau, découvrant la sylve et ses habitants, apprenant à les connaître et à jouer avec eux. Souvent, il se mêlait à une meute de loups, toujours la même, partageant leur vie et leurs jeux, parfois même observant leurs chasses. Plus le temps s'écoulait et plus il passait de temps avec eux, partageant finalement ses journées entre l'apprentissage, l'entraînement, ses licornes et les loups. Parfois, il s'aventurait à l'orée de la forêt, rencontrant des voyageurs de tout types, et écoutant leurs histoires, du récit guerrier d'un orc à la première épée forgée par une naine. Il s'amusait de ces récits, enviant quelquefois leur conteur ou héros, mais surtout c'était la diversité des contes qui l'émerveillait. Il trouvait fantastique tout ce que pouvaient vivre les gens dans ce monde. Mais parmi ces récits, il y en avait qui le rendaient triste ou le révoltaient. Ce n'étaient pas ceux d'un amour perdu ou d'une existence solitaire, ni ceux d'un chevalier épique. C'étaient ceux qui contaient les vols, les pillages, les massacres, les guerres menés par une race contre une autre, entre les communautés. Souvent il rêvait, observant une mauve sauvage trôner au milieu d'un petit bosquet de fleurs diverses, d'un monde où tous vivraient en paix, tous ensembles, unis par cette sagesse qui depuis toujours occupe le coeur des elfes. Mais trop de gens avaient oublié cette sagesse, enfouie sous le pois de la prudence excessive ou celui d'une rancune tue, et d'autres, plus nombreux encore, ne l'avaient jamais connue. Il grandit ainsi, s'abreuvant des enseignements de son maître, de la Nature, et des récits de ces voyageurs qui, parfois, devenaient ses amis.





Un matin d'été brumeux, au coeur de la forêt. Un elfe aux longs cheveux blonds et au regard d'émeraude fêtait son cent-vingt-cinquième anniversaire. Il arborait une armure d'un blanc étincelant feuilleté d'or, qu'il venait de nettoyer afin de lui faire retrouver l'éclat des premiers jours, lorsqu'il l'avait reçue, exactement cinq années auparavant. C'était le cadeau d'anniversaire de son maître, et en même temps le symbole de la fin de son enseignement : il lui avait tout appris. Sur le bras droit était sculptée dans un métal légèrement vert une fleur dont les cinq pétales étaient faits de cristaux d'améthyste massifs. Il l'avait reçue ainsi décorée et prenait toujours un soin particulier à ce que cette parure restât toujours éclatante. Il avait quitté « définitivement » le village quelques mois après son anniversaire, un léger pincement au coeur mais soutenu par sa famille et ses amis qui voyaient dans son départ l'occasion pour lui de enfin assumer son choix de la manière la plus noble et la plus forte qu'il soit. Depuis, l'elfe avait passé son temps entre les villages proches de la forêt et la meute qu'il côtoyait depuis son enfance.
Ce matin, il voulait fêter son anniversaire d'une manière particulière. Il travaillait sur cela depuis des mois, peut-être même sans le savoir depuis toujours. Au milieu de la meute, il ôta son armure et ses habits et se mit à chanter en langue elfe. Il imaginait dans son esprit un grand loup blanc au regard émeraude. Il imaginait chaque poil de sa fourrure douce et chaude, chaque ligne de son corps fin et puissant. Sur le sol, son flux magique s'étendait, formant une arabesque aux courbes uniques et incroyablement harmonieuses. Celle-ci émettait une fine lueur couleur de saphir. Sans cesser son chant, Nidhagg se courba en avant, jusqu'à poser ses mains sur le sol couvert de la rosée matinale, qui étincelait devant la lumière magique. Puis, son chant s'arrêta sur une longue note continue. La lueur devint alors éblouissante, et la note se changea en un hurlement aux mille harmoniques. Quand la lumière disparut, la brume s'était écartée et, à la place de l'elfe, se tenait un magnifique loup blanc, identique en tout point à celui qui emplissait son esprit l'instant d'avant. Le hurlement se tut et il baissa la tête, regardant la meute. Le loup-elfe sourit intérieurement en croisant les regards, tantôt méfiants, tantôt étincelants, des autres loups. Il passa près d'eux, chacun pouvant alors reconnaître son odeur. Puis il revint à son point de départ. Ses courbes se délièrent doucement et il reprit ses traits elfes. Il tenta de se relever sur ses jambes mais retomba immédiatement sur le sol, inconscient, épuisé, mais un sourire radieux ornait son visage.

Deux cent ans. Cela faisait deux cent ans depuis la première fois. Aujourd'hui, il parcourait le monde, tantôt sous sa forme d'elfe, tantôt sous celle du magnifique loup blanc. Il avait passé près de dix années à perfectionner son sort. Désormais, il avait réussi à effacer en grande partie l'épuisement que cela provoquait. Cependant, par prudence, il se limitait le plus possible à une seule transformation par jour, et il gardait souvent la même forme plusieurs jours d'affilée. Il avait également réussi à lier à son sort une invocation. Ainsi, quand il prenait forme elfe, il invoquait par la même son équipement, et le révoquait à l'abri, dans un recoin de la forêt, en prenant forme de loup.
Il avait connu toutes sortes de gens, se faisant parfois des amis, parfois des ennemis. Mais la rencontre qu'il allait faire ce jour là allait donner un nouveau tour à son destin. C'était entre Dion et Gludio. Le loup blanc parcourait la lande, profitant du vent frais du début du printemps. Quand, au détour d'un chemin, il se trouva à quelques pas d'un jeune sombre au regard d'azur et à la chevelure bordeaux. L'elfe fut surpris par la beauté de cet homme. Quelques mèches blanches retombaient devant son visage fin. Il portait une armure de cuir assez basique, et deux épées battaient ses flancs. Il resta plusieurs minutes immobile, puis il se baissa, tendant la main vers l'animal. Celui-ci avança doucement, approchant le museau pour renifler le sombre. Avec le temps, il avait non seulement pris la forme du loup, mais aussi ses sens. Son odorat et son ouïe étaient sur-développés, même si sa vue n'était plus celle d'un elfe. Nidhagg fut surpris par la main caressant son front, mais ne bougea pas. Sa peau était douce, son geste incroyablement agréable. Puis, quelques minutes plus tard, il se releva et continua son chemin, après un dernier regard à la bête.
Mais l'invocateur ne se contenterait pas de cela. Il grava le visage et l'odeur du sombre dans sa mémoire et rejoignit la forêt. Il y resta plusieurs semaines durant, travaillant à l'écart de tous sauf de « sa » meute. Puis enfin, il ressortit de la limite des arbres et, en tant que loup blanc, partit à la recherche du sombre. Et le retrouva rapidement. À l'écart des villes, il se présenta devant lui, un collier en cuir sombre dans la gueule, le fruit de son travail. La surprise ne resta pas longtemps sur le visage du sombre. Au contraire, celui-ci sourit et, s'avançant pour caresser l'animal, dit doucement :
« Et bien...tu m'aimes bien dirait-on.
Sa main se posa sur le collier, et il le regarda quelques minutes, puis il reprit :
– Tu veux que je te le passe ? Me demandes-tu de me lier à toi ?
Nidhagg sourit intérieurement. Il avait vite compris, et il sentait à nouveau ce potentiel en lui. Sans doute cela marcherait. Le sombre prit le collier et le loup se recula de quelques pas. Le jeune homme regarda étonné l'animal quelques instants, son regard d'azur plongeant dans celui de l'elfe. Il détourna alors les yeux vers le collier et le ferma. À cet instant, deux cercles magiques apparurent, l'un sous les pieds du loup blanc, l'autre devant le sombre. Celui-ci, surpris, lâcha le collier...qui ne tomba pas. Car l'animal venait de disparaître pour se matérialiser devant, le collier autour du cou. L'invocateur sourit intérieurement. Ce sombre avait donc bien le potentiel pour activer les runes gravées dans l'artefact. Celui-ci bégaya quelques mots incompréhensible avant de reprendre ses esprits.
– Alors...c'est ainsi...tu as bel et bien décidé de te lier à moi...je ne sais pas comment cela est possible mais...j'accepte ce que tu me proposes. Je m'appelle Eliand'hir. Eliand'hir Aud'humla. Et toi ? Comment dois-je t'appeler ?
Le loup jappa en guise de réponse.
– Je vois...c'est à moi de deviner...que dirais-tu de...hum...Kelem ?
Nidhagg rit intérieurement. Il en était venu à espérer que le sombre devine son véritable nom, mais cela n'avait pas eu lieu. Il approcha de son nouveau « maître » pour réclamer une caresse.
– Ce sera ainsi alors. Mais laisse moi ôter ce collier, il te gène sûrement.
Eliand'hir caressa Kelem et défit la boucle qui retenait le collier autour de son cou. Il ne put contenir un mouvement de surprise quand, au même instant, le loup s'évapora à nouveau pour réapparaître quelques mètres plus loin. Nidhagg éclata de rire dans un jappement étrange. Son enchantement fonctionnait à merveille. Le sombre reprit ses esprits et continua :
– Je vois...c'est ainsi que cela se passe. Va alors, je garde le collier, nous nous reverront bientôt. »
À ces mots, Kelem fit volte-face et s'éloigna satisfait.
Depuis ce jour, l'elfe passait la majeure partie de son temps en tant que Kelem, au côté du sombre, apprenant de ses expériences et s'habituant à comprendre le langage sombre, tandis que quand celui-ci le évoquait, il reprenait sa vie d'elfe.
Et il passa ainsi dix années en compagnie du jeune sombre, sans jamais lui dévoiler sa véritable nature. Au fil des ans, il maîtrisa la langue sombre et ses habitudes de loup se fixèrent, ainsi après dix années, ses sens l'accompagnaient quelque soit son apparence.





C'était au printemps une fois encore. Cela faisait plusieurs semaines que Nidhagg réfléchissait à son avenir. Il avait découvert de nombreux aspects du monde en tant que loup et compagnon d'Eliand'hir, des choses qu'il n'aurait certainement jamais vu en tant qu'elfe. De nombreuses anecdotes lui revenaient à l'esprit. Mais aujourd'hui, il s'ennuyait, il n'apprenait plus rien. Aussi, il décida de passer à autre chose. Le soir venu, alors que le sombre allait lui retirer son collier, il décida de le faire. Au moment où le collier fut dégrafer, Kelem ne disparut pas. Il resta immobile, fixant le regard azur, une lueur triste dans les yeux. Le jeune homme sembla comprendre rapidement. Il enlaça l'animal et le caressa longuement. Puis, Kelem prit le collier des mains de l'elfe à la croix d'argent. D'une voix triste, celui-ci dit :
« Alors...c'est aujourd'hui que cela fini. J'ai énormément apprécié de partager ces années avec toi. Mais je comprends. Tu es un loup, tu as besoin de ta liberté. Alors va, marche de ta propre volonté... »
Le sombre déposa un baiser sur le front de l'animal avant de se relever. Celui-ci s'inclina légèrement, puis fit volte-face et s'éloigna en courant. À quelques dizaines de mètres, il accorda un dernier regard triste à son compagnon, avant de s'éloigner rapidement.

Quinze années que Nidhagg avait repris sa vie en en solitaire, parcourant les villes, y trouvant des compagnons, puis les quittant quelques mois plus tard pour changer de région. Il prenait sa forme de loup dès qu'il était seul. Ce soir là, il courrait dans une forêt du Nord, près de Schuttgart. En réalité, il poursuivait quelque chose. Une louve noire qu'il avait aperçue de loin, entre deux arbres. Le sol couvert de neige et cette course lui rappelait sa première quête d'une licorne. L'instinct de loup qu'il s'était forgé au cours des ans le rendait prodigieusement excité par cela. Cependant, il l'avait perdue de vue et ne la suivait plus qu'à l'odeur. Quand soudain, un craquement dans les branches l'arrêta. L'instant d'après, il était plaqué au sol. Quelque chose ou quelqu'un venait de tomber sur lui. Il sentait les jambes retenir ses flancs pour l'empêcher de fuir. Au prix de nombreux efforts et gesticulations, il parvint à se tourner sur le dos pour voir son agresseur. Ses membres s'allongèrent et, toujours sous l'emprise de son bourreau, il reprit forme elfe, et entama d'une voix calme :
« Et bien Dame...vous êtes vous même capable de prendre forme de loup et vous ne pouvez reconnaître vos semblables qui font de même ?
Nidhagg ne put s'empêcher de rougir en croisant le regard saphir troublé et confus de l'elfe. Celle-ci recula brusquement dans un sursaut, libérant sa prise, ses cheveux d'ébène passant devant ses épaules, s'écoulant sur son buste. Son visage était fin, son nez aquilin. Elle avait les lèvres délicatement ourlées. Ses courbes étaient celles des elfes. Son visage laissait paraître toute sa confusion. Elle cherchait ses mots, ne sachant si elle devait s'excuser ou s'énerver contre cet homme qui, somme toute, était en train de la poursuivre quelques minutes auparavant. Nidhagg reprit la paroles en premier, en langue elfe, s'inclinant légèrement.
– Je crois que je vous dois des excuses Dame, je me suis quelque peu emporté en vous voyant ainsi courir. J'espère que vous m'accorderez votre pardon.
L'elfe releva un peu les yeux pour voir la femme s'approcher de lui d'un pas sûr. Et lui décocher une claque telle qu'il recula de plusieurs pas.
– Imbécile ! Vous m'avez fait peur ! J'aurais pu vous tuer ! Vous ne réfléchissez jamais avant de poursuivre quelqu'un ?
Sa voix était emplie d'un mélange de colère et d'émoi. Elle avait visiblement réellement pris peur de ce qu'elle aurait pu faire si elle s'était emportée ne serait-ce qu'un tout petit peu plus. Cependant sa voix demeurait douce et harmonieuse. Nidhagg se redressa, la main contre sa joue rouge.
– Je suis sincèrement désolé Dame...je me nomme Nidhagg Lan'Meluin. J'espère que des présentations éviteront à ce genre d'incident de se reproduire.
L'invocateur regardait à nouveau l'elfe. Elle devait avoir environ trois-cent-cinquante ans...comme lui. Elle bégaya, confuse :
– Je...je...Mon nom est Nienna...Lumaë... Je...et puis flûte ! Nous n'avons rien à nous dire ! Au revoir !
Sur ces mots, elle se détourna et commença à s'éloigner. Nidhagg étouffa un petit rire et la rattrapa, la retenant par le poignet. Elle fit volte-face et détourna presque immédiatement la tête. Son visage était rouge. Il sourit et lui demanda doucement :
– Vous voyagez seule ?
– Je...oui ! Qu'est-ce que cela peut vous faire ?
– Et bien...c'est mon cas également. Peut-être pourrions nous faire la route ensemble ? Où allez vous ?
Nienna s'emporta.
– Nul part !
– Tant mieux, moi aussi. Alors, vous acceptez ?
Elle rougit à nouveau, pas uniquement par colère.
– Je...bon...d'accord... Mais ne vous avisez pas de recommencer !
Elle dégagea son poignet d'un geste vif et reprit la marche, suivie de près par Nidhagg. Après quelques minutes de silence, il lança :
– Au fait, quand je suis sous forme de loup, vous pouvez m'appeler Kelem !
Elle maugréa et, en quelques secondes, c'était une magnifique louve noire élancée aux yeux d'un bleu légèrement sombre qui filait dans la forêt, suivie par un loup blanc au regard émeraude.





Un peu plus de cinquante ans ont passé. Un homme et sa louve passent le portail Est de Dion.
Un elfe à la longue chevelure blonde et aux yeux verts, une louve aux yeux bleus et au pelage noir. Cinquante ans qu'ils ne s'étaient plus quittés La rancoeur et la méfiance s'étaient changés en amitié, l'amitié en complicité, la complicité en un amour tendre et fusionnel. Nidhagg caresse du bout des doigts la nuque de son amante. Il observe la ville et ses habitants, habillé de son armure couleur de nacre, se demandant à quoi s'attendre ici. Puis, ils avancent vers le centre-ville.