Vous connaissez Oren ?
Mais si Oren la ville morte…
Il faut remonter la route qui va de Giran à Rune vers le Nord. Traverser la Passe de la Mort, s’aventurer dans une dense forêt de pins infestée de brigands et d’hommes-lézards. Enfin, après quelques heures de marche, vous arriverez en vue d’une ville à demi détruite, toujours fièrement plantée sur son piton rocheux avec ses orgueilleuses défenses a moitié écroulées par endroits.
C’est ce trajet que j’empruntais un jour… Tout avait commencé dans une taverne du port de Giran, pas un endroit des mieux famés je le reconnais. J’y avais surpris une conversation entre deux tire-laines du bas de l’échelle :
-« A c’qui paraît Ruhndorf fait monter du monde jusqu’à Oren et il paye bien ! »
-« Pourquoi qu’y a b’soin de monde dans c’t endroit oublié des Dieux ? »
-« Ah j’sais pas trop… Mais j’ai entendu dire qu’il avait pro… protje… Bref, qu’il voulait attaquer des caravanes marchandes à partir d’Oren. »
-« Il est fou ! Quand les seigneurs des alentours lui enverront leurs armées il ne s’ra bon qu’à aller se cacher dans sa forêt perdue… »
La fin de la conversation était inintéressante pour moi. Je ne m’occupe pas des tarifs des diverses filles de joie du port et, je l’avoue, le sujet m’importe peu. Mais un début d’idée commençait lentement à germer… Et si … Quelqu’un allait organiser ce foutoir, et l’occasion était plus que tentante, surtout pour quelqu’un comme moi. Oren avait toujours été une base sûre et bien défendue, même par peu de personnes. Un petit voyage vers le Nord s’imposait pour voir si ma folle idée était réalisable ou si il fallait la laisser dans le réservoir à chimères.
Ma décision prise, je me mis donc en route quelques jours plus tard avec ma vieille cape sur le dos et mon arsenal à portée de main. Que diantre ! Vu le nombre de personnes qui m’avait fait don de leur bourse au bord d’un chemin, j’étais bien placée pour savoir que les routes ne sont pas sûres de nos jours, hélas…
C’est donc sous un ciel maussade que je passais par la Passe de la Mort en évitant le contact avec la faune agressive de l’endroit. Vu le manque d’entretien des routes, on devinait que personne ne s’intéressait à Oren. Un bon point si une hardie bande de mercenaires décidait de s’installer là bas. J’entrais finalement dans la forêt bordant Oren au moment où le ciel laissait s’échapper une pluie régulière et glaciale. Les grands pins de la forêt étaient couverts de mousse et les sous-bois n’étaient traversés que par des sentiers de bêtes. L’endroit était définitivement glauque, pas étonnant que seuls les brigands y vivent ! .
Quelques heures plus tard je sortais du couvert des arbres en vue de la ville. Le temps ne s’était pas arrangé et c’est sous les trombes d’eau et le ciel bas que je redécouvri la ville que j’avais connue vivante. La muraille, imposante, était toujours debout, exceptés en quelques endroits où des brèches la perçait. La plupart des toits que je pouvais apercevoir étaient troués. Les imposantes portes de la ville étaient brisées et gisaient à terre, désormais inutiles. Seule la porte Nord rappelait l’ancienne force de la ville en restant obstinément close. M’approchant lentement de la ville en ruine, je finis par repérer des signes de vie parmi les décombres. Ici on avait jeté des troncs d’arbres en travers de la route pour décourager une attaque. Là, on pouvait voir des sentinelles postées sur un morceau de rempart encore stable. Par-là bas, un grand morceau de toile couvrait un toit. Et de partout s’élevaient paresseusement des filets de fumée dans l’air humide. Un peu plus confiante, je montais sur le chemin qui entrait en ville. « Allons-y au culot ma grande ! » Et puis en plus je fais déjà à moitié parti de la confrérie.
J’entrais donc dans une immense cour des miracles a ciel ouvert. Je n’avais vu que la partie émergée de l’iceberg lors de ma reconnaissance au dehors. A l’intérieur, des toiles de tente et des cahutes sommaires avait grignoté l’espace entre les murs des bâtiments effondrées. A côté, on avait retapé à la va-vite les bâtiments qui avaient le moins souffert des tremblements de terre.
Déambulant à travers les rues peuplées je voyais des étendards de clans brigands qui marquaient les limites entre les quartiers. Chacun avait son territoire et y faisait impitoyablement régner sa loi. Toutes les races, toutes les origines d’Elmore étaient représentées ici. Tous n’avaient qu’un point commun : le respect d’une loi unique, la leur. J’étais ici chez moi. j’avais toujours été une gamine des rues, même si de nombreuses années s’étaient écoulées depuis. Pour une fois je n’avais pas d’efforts à faire pour paraître « normale ». Je connaissais les règles tacites de ces gens, enfin de ceux qui étaient assez intelligents pour survivre à une vie dure et dangereuse, mais libre, incroyablement libre.
Discutant avec tout le monde je finis par comprendre comment autant d’individus avaient fini par atterrir ici. Ruhndorf, un chef de bande de l’ouest, s’était rapidement lassé de son campement minable près des montagnes. La nouvelle que la ville était abandonnée avait suffit à le convaincre d’aller s’installer là bas. A force de coups de pied dans le train de ses hommes réticents, il avait fini par s’installer dans la ville déserte. Puis la folie des grandeurs l’avait frappé. Il avait invité ceux de ses amis également chef de clans à le rejoindre, et avait forcé par des menaces, voir des assassinats, les autres clans à le rejoindre à leur tour. Avec le nombre sans cesse plus important de ceux qui venaient s’installer, son influence avait grandi et il s’était déclaré baron, conte, duc et enfin roi d’Oren. Rien que ça… Il restait modeste le bonhomme !
Il était peut être cinglé, mais il avait quand même réussi un tour de force en unissant plus ou moins tous les brigands des environs d’Oren. Dommage qu’il n’ait qu’une vue à court terme de la situation. Piller, violer et boire, tu parles d’un programme ! On sentait là un cruel manque d’éducation et d’imagination ! Mais qu’importe, j’ai bien l’intention de lui prendre sa couronne !
Pour une fois, j’ai un projet : Oren doit rester libre, et pour ça il faut la reconstruire. Mercenaires, voleurs, contrebandiers, ce sera leur refuge à terme tant qu’ils respecteront les règles élémentaires du savoir-vivre des voleurs. Ca va être dur, je ne suis pas sûre d’y arriver mais ça vaut le coup d’essayer.