[Elfe] Yuan Lassarion

Une lame glisse dans les ombres, silencieusement. Les couloirs du bâtiment sont vides, sombres, l’obscurité est oppressante, mais le porteur de l’arme n’en a cure. Il se plaque contre une porte, pour écouter au travers. Il n’entend que les battements contrôlés de son propre cœur. Sa main glisse sur la poignée, lentement, alors que la pointe de la dague fouille le verrou pour le faire céder. Un déclic se fait entendre. La porte s’ouvre en grinçant légèrement. Coup de chance qu’elle n’ait pas été piégée par magie. Il entre en silence, se servant de sa vision nocturne pour se repérer dans la pièce tout juste éclairée par un filet de lune venant des fenêtres du couloir. Il arrive enfin à une autre porte. La porte. Son cœur s’accélère, sa prise sur sa dague se raffermit. Celle-ci est piégée, il en est sûr. Il se plaque dos au mur, la porte sur sa droite, et teste la serrure de la pointe de sa lame. Un sifflement, et trois sons étouffés. Des dards viennent de se planter dans le bois de la porte. Un premier piège évité. Trop simple. Il crochète la serrure, puis à tâtons, passe une cordelette autour d’un livre épais, et fait une boucle à l’autre extrémité, qu’il accroche à la poignée. Il se recule, lâche le livre. Dans un flash de lumière bleu, alors que la poignée est abaissée par le poids du livre, le second piège s’active. Du livre et de la corde, il ne reste plus qu’un bloc de glace qui explose sans bruit en touchant le sol. Et la porte est ouverte. Il pénètre à l’intérieur avec prudence, et se décide enfin à allumer une bougie. Ses yeux s’habituent rapidement à la pénombre, lui permettant d’apercevoir sa cible, étendue sur un autel. La dague s’approche, l’effleure. Pas de réaction. Il observe plus attentivement, et sourit. La dague se lève lentement, puis s’abat avec précision, une, deux, trois, quatre fois. Un cliquetis retentit ; les attaches du coffre viennent de céder. Contournant l’autel, il l’ouvre sans activer le piège lié à la serrure, dépose le couvercle délicatement, puis plonge sa main à l’intérieur. Il récupère l’objet qui y était gardé, le met dans son sac puis, tout aussi silencieusement, quitte les lieux.

Quelques jours plus tôt…
- Tu es sûr de ça ?
- Oui, absolument.
- C’est un Sombre quand même.
- Oui, mais… Je crois qu’il disait la vérité, pour une fois. Il aurait pu me tuer, mais il a préféré me raconter ça. Je ne crois pas que ça soit juste pour me faire peur.
- Mais tu imagines les conséquences, si ce qu’il prétend est vrai…
- Tu as entendu comme moi des rumeurs là-dessus, pas vrai ? Ca ne serait pas une telle révélation. Et puis qu’est ce que ça changerait ? Le passé est le passé. On aurait juste les idées claires.
- Mais tout de même…
Moment de silence.
- Alors, tu marches ?
- D’accord, je te couvrirai… Mais tu sais ce qui va se passer si on se fait prendre.
- Une preuve de plus, pour moi. Pourquoi est-ce que la bibliothèque interdite serait interdite sans ça ?
- Heu… Pour l’effet du nom ? Non, tu as raison. C’est troublant. On tente quand ?
- J’ai besoin de mettre un plan au point… Dans deux ou trois jours, sans doute. N’en parle à personne.
- Tu me prends pour un fou ? Je ne dirai rien.
- Marché conclu, alors. Je compte sur toi.

Le lendemain du crime, le village elfique est sans dessus dessous. Les érudits et les anciens écument les habitations à la recherche d’un objet précieux, tout en refusant toute explication aux habitants intrigués. Personne ne sait de quoi il s’agit, sauf deux jeunes elfes qui ont préféré partir en chasse pour la journée. En théorie, car deux jours plus tard, ils ne sont toujours pas revenus…

La veille, au Monastère du Silence… Deux formes indistinctes se glissent derrière les rangées de livres, trompant la vigilance des anges. Les deux elfes progressent lentement mais sûrement à travers les salles austères, profitant des coins d’ombre ou des jeux de lumière des vitraux pour passer inaperçus. Ils ont presque atteint leur but lorsque Sorion trébuche une première fois. Heureusement, aucun ange ne le remarque. Il murmure à Yuan :
- Désolé. C’est vraiment une bonne idée, tu crois ?
- Pas le choix. Aucun de nous ne parle l’elfique ancien. On doit trouver un ouvrage sur le sujet, et puis c’est une bonne cachette pour celui qu’on a récupéré, non ?
- Oui, mais… Je ne tiendrai pas longtemps.
- Courage, on y est presque.
Ils reprennent leur avance, lentement, de plus en plus anxieux à mesure que la fatigue se fait sentir. Ils arrivent enfin devant la dernière porte. Yuan entreprend de la crocheter, alors que Sorion surveille le couloir. Au bout d’un temps qui semble infiniment long aux deux compères, la porte s’ouvre enfin. Dans un bruit de fin du monde qui alerte tous les anges à proximité. Yuan se cache dans l’ombre le plus vite possible, suivit par Sorion. Mais ce dernier, moins expérimenté, est à bout de forces. Il rate la marche et tombe à terre. Les monstres ailés sont sur lui aussitôt. Yuan écoute, impuissant, les lames le taillader, lui arrachant des cris de souffrance. Puis le silence revient.

« Je suis assis par terre, contre la pierre froide, pleurant silencieusement. Mon meilleur ami venait de mourir sous mes yeux, ou presque, par ma faute. Comment avais-je pu être aussi stupide ? Cet endroit était bien trop dangereux. Toute cette stupide histoire l’était. Je détache un parchemin de ma ceinture, le lit entre deux larmes. L’endroit vacille, et je me retrouve allongé sur le sol d’une ville grise et triste. Je me relève avec peine, et cherche du regard la passeuse, avec l’intention de rentrer au village, rendre le livre et recevoir ma punition. Pour ne plus jamais y revenir. Mais… Je m’arrête net. Le livre… C’est Sorion, mon ami, dont le corps brisé repose au sommet du Monastère du Silence, qui l’avait avec lui. L’endroit porte bien son nom. Silencieux comme la tombe qu’il est devenu. Lâchant un sanglot plus fort que les autres, j’annonce ma destination à la passeuse. Je renonce déjà au village elfique. A la place, je vais à Giran, en espérant pouvoir continuer à vivre malgré tout. Le livre restera où il est ; je n’ai pas le courage de retourner le chercher. »