[H]Jyrann

Jyrann, le bête

Dans le champ verdoyant parsemé de jaune et rouge, l'homme se releva, humant l'air, le visage éclairé par le plaisir et la surprise. Autour de lui, des milliers de fleurs qui répandaient leur parfum à travers toute la prairie. Le soleil frappait fort dans le ciel bleu, sans un seul nuage. On pouvait sentir une légère bise parcourir son corps.
Le jeune homme éternua subitement. Les larmes aux yeux, il commença à tâtonner autour de lui, ses yeux rouges et gonflés. Quelques mots sortirent de ses petites lèvres roses.
-Hmpf ... Je comprends pas, moi. A chaque fois que je viens ici, j'ai une allergie. Je comprends pas.
Il commença à courir joyeusement malgré la douleur que lui procurait ses yeux et son nez, quelques fleurs à la main. Soudain, se dévoilant sous ses pieds, le sol disparut, laissant place à un précipice. Jyrann poussa un hurlement surpris et indigné tout en chutant, avant de s'écraser sur l'eau, en contrebas.

Il cilla plusieurs fois, voyant clair.
- Mais ... Pourtant, mes yeux ils étaient gonflés. Je comprends pas.
Jyrann porta ses mains à ses yeux, les tripotant un instant.
- Ah ... Ben ils sont plus enflés.
Il se releva peu agilement. Le jeune homme, d'une vingtaine d'années, semblait tout sauf coriace. Tout était petit chez lui. Sa taille, son nez, ses yeux, ses lèvres, ses mains, ses pieds, et ... son intelligence. Il était né comme ça, c'était ainsi. Le Destin, lui disait son père. Mais Jyrann ne comprenait pas ce qu'était le Destin, et ce que son père essayait de lui faire comprendre.
Le garçon maigrichon sortit de la baraque, se demandant qui avait bien pu le soigné. Au loin, quelques gardes qui patrouillaient. Jyrann se mit à trottiner joyeusement, l'air emplissant ses poumons, ainsi que la joie de vivre ses pensées. Il se posta à côté des gardes, ramassa un bout de bois et le tint à la manière des lanciers au garde à vous. Il s'esclaffa subitement, seul, alors que les gardes le regardaient silencieusement.
- Bonjour monsieurs les gardes ! Vous allez bien ?
- Plutôt bien, et toi Jyrann ? Pas trop mal ?
- Moi ? Mal ? Pourquoi ?
- Tu as fait une chute de quelques mètres, tu sais...
- Ah bon ? Quand ça ? Jyrann arborait un sourire niais, alors que le garde poussait un soupire.
- Oublie. Un message de l'académie de magie te cherche. Je pense que tu devrais aller y faire un tour.
- C'est vrai ? C'est vrai ? Le jeune homme papillonna des bras avec vivacité, la joie et la panique se lisant sur son visage
- Pourquoi ? Pourquoi ? J'ai fait une bêtise ou quelque chose de bien ?
- Aucune idée, Jyrann ... Allez, vas y. Et ne te perds pas en chemin.
- Oui monsieur le garde ! Jyrann se tourna, partit en courant avant de trébucher. Il se releva rapidement et reprit sa course avec frénésie.

Quelques heures plus tard, après s'être égaré dans les fôrets, Jyrann atteint l'école d'Einhovant. Ce lieu lui avait toujours donné des frissons, autant que les mages qui étaient à l'intérieur. Pourtant, la magie le ravissait. Dure paradoxe pour Jyrann. Avoir peur de ce qu'il aime.
L'homme entra grossièrement dans la salle d'apprentissage, portant encore ses habits en lambeaux.
Un mage classieux arriva doucement. Jyrann aurait dit qu'il flottait dans les airs, car il ne voyait pas ses pieds qui se cachaient sous une lourde toge.
- Bien, bien ... Tu es Jyrann, je présume.
- Oui Monsieur le magicien ! Je suis Jyrann ! Le sage observa Jyrann en silence un moment, la pitié se lisant dans son regard.
- L'académie a étudié ton ... cas. Je vais être franc et clair, Jyrann.
- Clair comme l'eau ! Le maigrichon arbora un sourire niais, satisfait de sa comparaison.
- C'est cela, oui, comme l'eau ... Donc. Nous pensons que ta bêtise atteint un niveau très important, et nous nous sommes dit que peut-être, c'était du à une trop grosse concentration de mana dans ton corps. Nous allons donc te faire un ...
- Une trop grosse concentration de mana ! Mais ... Monsieur le magicien, je vais pas mourir tout de même hein ? C'est pas grave hein ? Dites moi que c'est pas grave monsieur le magicien ?
- Laisse moi finir, Jyrann ! Je disais ... Nous allons donc te faire suivre un entraînement et un apprentissage magique pour tenter de voir si tu as un don pour la magie. Alors, qu'en dis tu ?
Jyrann se pinça les lèvres, entortillant ses doigts et détournant le regard.
- Monsieur le magicien ... Je crois que ca va pas être possible, parce que j'ai peur des magiciens. Alors si je deviens un magicien, j'aurai peur de moi même, et là ca ira plus du tout monsieur !
Imaginez que je ne peux pas me regarder dans une glace ! Ou ... dans l'eau ! Ou dans les fleurs, même ! C'est trop horrible pour moi Monsieur. Je me vois dans ... dans la non-obligation de refuser.
- Allez, Jyrann, suis moi. Tes cours commencent demain, à l'aurore. Tiens toi prêt, dors bien.
Jyrann fit un petit bond d'excitation et suivit le mage timidement .

A ses vingt deux ans, Jyrann n'avait pas le niveau d'un apprenti. Certes, il connaissait quelques sorts, mais les utiliser dans les bonnes situations pour lui était totalement impossible.
A la place de soigner, il affaiblissait. A la place d'attaquer, il soignait. A la place d'affaiblir, il renforçait ... Au bout de ces deux ans d'efforts acharnés à tenter d'utiliser le potentiel magique de Jyrann, le conseil de l'académie fut d'accord sur le fait que sa bêtise l'empêcherait d'un jour pouvoir manipuler la magie convenablement. Le jeune garçon, qui écoutait aux portes, partit en courant, trébuchant maintes fois, avant d'atteindre un quai. Jyrann avait toujours aimer les bateaux. Certes, ils avaient peur des marins, mais ... En toute discrétion, il s'enfonça dans la cale d'un bateau marchand en direction du port de Giran. Le Jeune homme de vingt deux ans venait de quitter ses seules chances de survie, les personnes qui l'aimaient et le protégeaient du reste du monde.