Des pages, gravées dans les mémoires, racontent des récits tous plus fantastiques les uns que les autres, où des héros montés sur des dragons, parviennent à vaincre vampires et monstres, la lame haute. L’honneur qui alors les auréole provoque bien des désirs chez le commun des mortels. Chacun aspire au fond de lui à un peu de gloire. Or, elle est parfois difficile à atteindre, quand le monde qui vous entoure semble hostile ou tout simplement, trop ingrat.
Par exemple, quand on voit le jour dans une famille de paysans vivant dans un des coins les plus reculés d'Azur. Jahynm est née un jour maussade, comme si Einhasad, ce jour précisément, avait décidé de bannir du monde le soleil et la chaleur. Sa mère, une forte femme au caractère bien trempé, la mit au monde dans sa cuisine, près de l’âtre, sur un matelas de paille et de bruyère mêlées. Elle expulsa de son ventre la petite créature qui empêchait ses mouvements depuis de nombreux mois, et ralentissait considérablement son travail à la ferme. Puis, se relevant de sa couche, contempla la frêle enfant, qui, la bouche grande ouverte, poussait des cris stridents. Une fille… Un soupir sortit de ses lèvres. Bien qu’elle ait déjà enfanté cinq grands gaillards, susceptibles de reprendre la ferme familiale, elle aurait préféré avoir un sixième garçon. Qu’allait-elle faire avec une fille, à qui il faudrait trouver un époux, qui ferait sans doute des difficultés pour travailler aux champs. La solide paysanne trancha le cordon ombilical et entreprit de laver la petite dans le baquet d’eau chaude qui avait été prévu à cet effet. L’enfant ne cessait de crier, emplissant l’espace de ses braillements aigus. Au point que le père, travaillant à l’étable, finit par entrer pour connaître l’origine de ce vacarme.
« Eh toi, la Mère. D’où viennent donc ces cris qui font peur aux bêtes ? Tu veux que mon lait tourne ou quoi ? » Dit-il de sa voix bourrue, les poings sur ses hanches larges, ses sourcils froncés en une seule barre, créant une parallèle à sa moustache touffue.
« Tu as une fille, le Père » Répondit-elle de sa voix placide, alors qu’elle emmaillotait la pouponne.
« Une fille.. » Il demeura songeur, jusqu'à ce qu'une lueur avide éclaire ses yeux ternes. « On la mariera à un voisin, pour faire entrer des terres dans la famille. Enfin, si elle n’est pas trop laide… » Il soupira lourdement, contemplant les traits pesants de son épouse. Puis il retourna à son ouvrage et à sa maussaderie habituelle, sans se préoccuper d’avantage de sa nouvelle progéniture.
Bien que née dans l’indifférence parentale, les cinq frères de la jeune Jahynm ne la laissèrent pas dans la douce et paisible quiétude qui accompagne souvent cette indifférence. Dès qu’elle sut marcher, l’esprit aventureux de l’enfant la conduisit dans tous les endroits où elle n’avait rien à faire, comme la chambre de ses cinq frères, qui devint sa salle de jeu préférée. Elle prit vite goût aux jouets et particulièrement à ceux de ses frères, qu’elle dépiautait consciencieusement dès qu’elle en avait l’occasion. Ce qui ne fit qu’accroître l’inimitié sexiste qu’ils éprouvaient déjà à son égard.
Dès que sa taille le lui permit et que ses bras furent assez forts pour le travail, on l’emmena aux champs, on lui apprit à traire les chèvres, à ramasser le blé et à l’attacher en botte. Jahynm était courageuse et pleine de bonne volonté, contrairement aux réticences premières qu'avait eues sa mère. Mais ses frères ne lui laissaient aucun répit et s’acharnaient sur elle. Elle était la coupable de toutes leurs bêtises, la victime de toutes leurs farces : araignées sur l’oreiller, serpent dans les sabots, miel dans les cheveux. Au fur et à mesure que s’accumulaient les coups, les cris de sa mère qui protégeait ses fils bien-aimés, Jahynm finit par s’endurcir, gagnant en caractère. Dès 7 ans, sa répartie était en mesure de faire taire ses frères, et durant les bagarres générales, elle n’épargnait pas ses coups, mordant et griffant tout ce qu’elle pouvait. Elle était une petite fille vive, aux longs cheveux d’un roux vif, ce qui ne lui épargnait aucune moquerie. Ses yeux bleus, profonds, étaient souvent malicieux et moqueurs. Quand elle travaillait, elle aimait à retenir ses cheveux sur sa nuque, en une queue de cheval, de petites mèches venant parsemer son front tanné par le soleil des champs.
Son père, mesurant qu’elle était une source de discorde parmi ses enfants, bien qu’elle n’ait eu droit à aucun traitement de faveur, prit à partie la Mère, un soir.
« Dis, la Mère, cette petite est une épine dans notre pied. Elle n’est pas un laideron mais ses manières sont celles d’un paysan, et nous ne la marierons jamais comme ça. Faut qu’nous lui fassions donner de l’instruction. » Marmonna-t-il à son épouse qui lui servait son ale.
« Elle va nous couter… Je peux l’envoyer chez une cousine, qui habite non loin. N’est-il pas que son mari la traite comme une dame, vois-tu l’ridicule ! » Elle rit, laissant pointer la jalousie qui dévorait son âme..
« Elle aura ptête bientôt besoin d’une bonne. »
Le Père grommela, et acquiesça, puisque la solution lui permettait d’épargner ses précieux adenas.
Le lendemain matin, Jahynm fut envoyé avec armes et bagages (ils étaient minces) loin de la demeure familiale. Il n’y eut pas de larmes ni d’effusions de tendresse. Ses frères soupirèrent de soulagement, car la bougresse commençait à devenir forte et que leurs hématomes grandissaient avec elle. Jahynm, installée à l'arrière de la charette, songeait qu’elle allait enfin pouvoir dormir tranquille, sans ses brutes de frères. Quel soulagement…
Son soulagement se mua en ennui en moins de quelques heures. En horreur même, quand elle apprit qu’elle devrait porter des robes, elle qui portait des vêtements d’homme depuis l’enfance. Elle arriva dans la ferme coquette de sa cousine, qui se prenait pour une grande dame depuis que son mari avait un chevrier pour traire ses bêtes à sa place. Son époux, bêtement amoureux, passait son temps à la couvrir de présents et était ravi de voir sa cousine par alliance venue pour prendre soin de son « Cher Amour », comme il appelait sa femme, avec une niaiserie tout à fait écœurante. Jahynm mesura vite que ses frères lui manqueraient énormément. Sa cousine, Andrea, passait son temps à la traiter comme une fille, chose que personne de sa famille ne faisait depuis son baptême. Sa petite voix aiguë et mielleuse claironnait dans toute la maison des « Jaaahynm ! » qui lui faisaient dresser les cheveux sur la tête. Des champs, elle passa à la coiffeuse, à la penderie, à la lessive des robes roses d’Andrea. Ce fut un enfer… Et elle regretta, les coups, les farces. Le seul point positif de cette nouvelle vie était l'accès à la bibliothèque de son cousin. Bien qu'il soit d'une bêtise innommable, ce fat avait souhaité constituer une bibliothèque, pour paraître érudit, malgré le fait qu'il ne comprenne pas un traître mot aux livres qu'il faisait venir du continent. Dès qu’elle avait fini ses corvées, elle allait dans sa chambre et dévorait les livres qu’elle lui empruntait. Elle y trouvait de tout : des romans de chevaliers, de princesses, dans lesquels bizarrement, elle enviait plus le chevalier que la princesse, des traités de botanique, des livres obscurs parlant de l'histoire du monde et des guerres. Le monde qu'elle découvrait dans les livres lui semblait à mille lieues de la médiocrité désolante de son existence.
Les années passèrent, bien trop longues, bercées de lecture, de moments pénibles et de solitude, de robes à froufrous et de cheveux artistement ouvragés. Quand elle eut atteint ses 18 ans, sa cousine la renvoya à ses parents. Elle était devenue une jeune fille, qui n’avait rien perdu de sa verve, au grand désespoir de sa parente, qui avait pourtant essayé de lui apprendre les bonnes manières. Ses devoirs de domestique ne l’avaient pas empêchée de continuer à s’entraîner, en prévision du jour où elle retrouverait ses frères, d’abord, et du jour hypothétique où elle deviendrait chevalier. Malheureusement, en arrivant chez elle, elle vit que les projets qu’on avait fait à son encontre, déclamés sur son berceau, n’avaient pas changés, et allaient devenir sa malédiction. On la présenta, vêtue de la plus immonde robe rose imaginable, au voisin de ses parents, qui était un vrai mufle, d’une stupidité rare. Celui-ci fut charmé, mais se rendit compte, malgré sa lourdeur d’esprit, qu’il n’était pas l’élu des rêves de Jahynm. Après qu’il ait essayé de lui mettre la main aux fesses pendant le déjeuner, elle l’avait trainé dans la cour discrètement pour lui mettre une raclée.
Jahynm contemplait la pauvreté de sa vie, et pire encore, la médiocrité de son avenir, du haut de la colline qui surplombait la propriété familiale. Elle s’y refusait. Elle serait quelqu’un d’autre. Elle lutterait contre la bêtise, contre le ridicule, contre la toute puissance des mâles sur cette terre. Et elle en mettrait une à tous ceux qui n’étaient pas de son avis.
Elle partit, sans demander l’avis de quiconque et rejoignit la ville principale d'Azur, en essayant tout de même de ne pas se faire remarquer. En attendant un bateau en partance pour le continent, on l'envoya au centre d'entraînement d'Azur. Elle modèlerait son destin à sa guise. Loin des chèvres, des brutes mais aussi des robes de soie et des chignons compliqués. Elle trancha ses cheveux et les rassembla en une queue de cheval sur sa tête, laissant ses petites mèches rousses encadrer son visage.
L’œil perçant, le menton volontaire, elle affronterait l’avenir.