Carnet d'une Min'Aka

Carnets :


25ème jour du 9ème mois :


Sinwaess et moi avons enfin un pied-à-terre à Gludio. Nous faisons désormais partie des Larmes de Shilen comme nous le souhaitions, et sommes prêtes à porter le flambeau du nom de notre famille.
Je me suis découvert une vocation que jusqu’ici j’ignorais. Mon existence entière ayant été tournée vers l’étude, je ne m’étais jamais dis que je pouvais enseigner à mon tour. Mais pourquoi pas ? Etant experte dans l’art de manier les arcanes du vent, pourquoi ne ferais-je pas profiter la nouvelle génération, ou tout ceux qui veulent apprendre ?
Ma sœur, elle, comme je l’a connais, a choisi la voie des armes, et cela lui ressemble bien. Elle a toujours été la plus volcanique de nous deux, et parfois je l’envie. Oh, bien sûr, je saurais me défendre s’il le faut, mais je n’ai pas le tempérament à aller de mon gré aux grandes batailles.
Je rêve de me voir promue Maître des Arcanes. Je ferais tout en ce sens, et Père sera fier de moi. L’approbation de Sorsha a toujours été ma prime priorité, ainsi que la protection de ma sœur, bien entendu.

Je me sens plus fragile dans ce nouvel environnement que je ne l’ai jamais été. Et ceci par la proximité des mâles, dont j’avais été soigneusement mise à l’écart par mon Père, étant la première héritière de la famille. Je m’y trouve confrontée, à eux et à leur charme, chose totalement inconnue pour moi, si ce n’est théoriquement, par les explications pleines d’emphases de ma jeune sœur. Sinwaess continue de m’apprendre des choses.

A ma grande surprise, je me retrouvai rapidement seule avec l’un d’eux, Nhilana. Etrangement, je me plais à répéter son nom lorsque je suis seule, car il sonne agréablement à mes oreilles. C’est un sombre fascinant, dont l’existence a du être longue, et son expérience me laisse souvent pantoise et impressionnée, sentiment étrange et embarrassant. Je ne suis pas allée aussi loin que ma sœur l’aurait fait, mais je sens poindre en moi une Hecate dont je n’ai pas la connaissance : audacieuse et frémissante. J’ai le plus grand mal à me contrôler lorsque nous sommes seuls, et le calme que je suis entraînée à laisser apparaître se voit soufflé comme une bougie quand il ose me prendre dans ses bras.

D’après ma sœur, si cela me plait, je ne dois pas le repousser. Je vais suivre son conseil et seulement profiter de sa présence…. Quand à l’amour, elle n’a rien su m’expliquer à ce sujet. Mon père m’a pourtant toujours répété que dans notre caste, les unions d’amour étaient impossibles, et ne devaient rester qu’officieuses, les bonnes unions étant entre castes de même niveau. Or je n’ai aucune idée du statut social de Nhilana. Mais comme dit Sinwaess, la question ne se pose pas.


Xal Shilen sslig'ne udossa

27ème jour du 9ème mois :


J’ai assisté à une scène étrange hier au soir, tandis que la soirée avait agréablement commencé par un joyeux moment avec la plupart des membres des Larmes.
Aithe s’éclipsa, invoquant un problème avec Elamon, un sombre que je devais découvrir à peine une heure plus tard.
Peu après, une sentinelle vint nous trouver, essoufflée, nous demandant de gagner rapidement le château, qu’il y avait un problème. Le prêtre Yorn, que je venais à peine de rencontrer, nous fourni parchemins, et nous partîmes sur le champ.
Un bruit de porte fracassée nous accueillit, venant de l’étage, et nous nous précipitâmes. Je découvris avec une stupeur que je parvins à dissimuler, le fils Vendar, apparemment blessé, aux prises avec un autre sombre, qui venait de lâcher le cou de la Tetrarch, semble t-il, celle-ci s’étant effondrée à terre.
D’autres que moi furent plus rapides et allèrent relever immédiatement Aithe, en particulier Yorn, qui lui administra les premiers soins en sa qualité de prêtre.
Elamon, comme je devais le découvrir, fut maîtrisé et bientôt endormi par un sortilège. Aithe se retira un instant pour reprendre du souffle, et Andhalyn, inquiet, la suivit pour s’assurer de sa sécurité.
Quant à Sinwaess et moi, nous restâmes pour écouter ce qu’il se tramait, mais ma sœur partit bien vite quérir à la bibliothèque des informations sur un quelconque sortilège qui aurait pu altérer le jugement du sombre endormi.

On m’apprit que ce dernier était issu d’une lignée bâtarde. Son père, l’ancien fondateur des Larmes, aujourd’hui à la droite de Shilen, avait épousé sa mère, qui avait du sang elfique dans les veines. Je ne pu retenir une grimace de dégoût à l’apprendre, mais ne pouvait pas non plus accuser Elamon : il n’était pas responsable des erreurs de ses grands parents.
Quoiqu’il en soit, il avait l’air très dangereux.

C’est alors que je me souvins d’une formule inventée par l’un de mes aïeuls, que je n’avais guère connu. Les Min’Aka, bien avant notre naissance, étaient spécialisés dans la maîtrise, le contrôle et la limitation des arcanes. Ils s’occupaient également d’entraver celles des prisonniers lorsqu’il y en avait. L’ancêtre avait donc inventé une formule compliquée, sensée entraver les arcanes de la cible pendant une durée indéterminée, ne prenant fin que lorsque le lanceur l’aurait décidé, ou à la mort de celui-ci.

Fébrilement, hier, je cherchais ce document dans les archives de mon Père, et le trouvait. Ce que j’ignorais, c’est qu’il ne pouvait être lancé que par le sang des Min’Aka. Ni ma sœur ni moi n’étions suffisamment puissantes pour le lancer seules. Je pensais donc qu’il me faudrait l’aide des prêtres de Gludio, mais que c’était tout de même possible à réaliser. Je déposais la formule sur le bureau de Yorn.

J’espère que ce sort nous permettra de gagner du temps afin de résoudre l’état d’Elamon.


Xal Shilen sslig'ne udossa

Les deux sombres étaient passés de la salle à manger au fumoir personnel du chef de famille, laissant les femmes à leur boudoir et les servantes débarrasser les restes du repas.

Sorsha versa de la liqueur de noix dans deux verres en cristal fin, très petits, en guise de digestif. Il sortit également une boîte de bois noir ouvragée, la posa sur le guéridon et l’ouvrit, découvrant une dizaine de gros cigares. Il en proposa un à son invité qui le prit, humant son parfum avant de l’allumer.

Le chef de la famille Min’Aka s’assit sur un fauteuil moelleux garni de brocart, allumant un cigare à son tour. Il en tira quelques bouffées, puis tourna la tête vers Belaufein.

- Je suis ravi que vous ayez accepté mon invitation. C’est un réel plaisir que de vous avoir à dîner.

Belaufein,le chef de la famille Vendar, ne répondit rien, se contentant d’un léger sourire. Ils conversèrent un moment de choses et d’autres, et la conversation dériva sur leur progéniture respective.

- Pour être tout a fait franc, reprit Sorsha, je vous ai convié à venir partager une soirée avec moi pour vous entretenir d’une idée qui m’est venue et dont je voulais vous faire la proposition.

Confortablement installés dans leurs fauteuils, fumant de délicieux cigares et sirotant un suave digestif, l’atmosphère était propice aux révélations et aux confidences.

- Je vous écoute. Fit Belaufein d’un air tranquille.

Sorsha reprit tout en fixant le plafond sculpté de son fumoir :

- Je songeais que nos familles étaient liées par l’amitié depuis fort longtemps déjà… peut-être pourrions nous nous lier plus encore, si vous êtes d’accord…
- Je n’y vois aucun inconvénient, vous le savez bien.

Belaufein avait très bien compris les sous entendus mais voulait les entendre de vive voix.

- Cher ami…que pensez vous de ma fille aînée ?

Un petit sourire apparut sur le visage de l’invité.

- Je l'ai vu il y a fort longtemps, mais elle était déjà une charmante enfant. Je crois savoir qu'elle a bien grandit.

Sorsha se mit à sourire.

- C’est exact. Je songe de plus en plus à assurer son avenir. Je pensais que peut-être... vous pouviez m'y aider.
- Hm… vous croyez que je le pourrais ?

Le sourire, le ton et la formule employée étaient limpides et Sorsha l’avait bien comprit. Il se leva et alla ouvrir un grand secrétaire au fond de la pièce. A l’aide d’une clé, il déverrouilla l’un des compartiments et en retira un parchemin, avant de le refermer avec soin. Il revint vers Belaufein et le lui tendit en souriant. Celui-ci le prit et le parcouru rapidement des yeux. Ceux-ci s’écarquillèrent lorsqu’il parvint en bas du document.

- Eh bien… vous avez gâté votre fille en lui offrant une dot pareille… n’importe quel parti en serait honoré.
- Sa sœur cadette aura presque l’équivalent. Répondit Sorsha sur le ton de la conversation.

Belaufein souriait et regarda de nouveau le document. Le chef de la famille Min’Aka le fixa.

- Qu’en dîtes vous ?
- Je voudrais que les choses soient le plus claires possible... êtes vous en train de me proposer un mariage d'agrément...?

Sorsha ne répondit pas, se contentant de sourire simplement.
Un petit silence plana pendant lequel Belaufein se réserva le droit de laisser durer son petit effet d’attente. Puis, après avoir recraché une bouffée de fumée, il annonça :

- Je vais y réfléchir.

La réponse parut satisfaire Sorsha, et les deux sombres se mirent à parler de tout à fait autre chose.

29ème jour du 9ème mois :


Eh bien, voilà qui est nouveau pour moi. La nuit est tombée depuis longtemps et je rentre seulement maintenant. Je viens de quitter Nhilana sur la place de Gludio pour regagner mes appartements.
Je viens tout juste de découvrir ce dont ma sœur me parlait si longuement et si souvent… le plaisir de chair. C’est un acte étrange dont la curiosité qui a toujours été mienne m’ordonnait de m’approprier, de découvrir, de sonder… je le fis non sans ardeur, je crois, et pense ne pas m’être trompée. Ce fut un moment plein de passion, de force, presque brutal… et j’en retirais une sorte de douce félicité qui me laissa pantoise, surprise et presque sans force.
A l’heure ou j’écris, je sens encore cette douce sensation dans mon bas ventre, qui me chatouille, me pince agréablement de l’intérieur, me laisse dans tous mes états. Et encore une fois je ne peux m’empêcher d’analyser cela comme je le fais de tous les phénomènes arcaniques, je suis vraiment incorrigible… mon esprit n’est que science, et je suis incapable de penser à autre chose qu’aux études, à la réflexion et aux découvertes.

A part ce plaisir qu’ont m’avait nommé, et que je n’ai pas démenti, je ne ressens d’autre qu’une hâte déplacée de le revoir, et cela m’agace un peu. Je ne souhaite pas perdre le calme qu’on m’a toujours honoré. Pourtant j’ai cette envie bien difficilement contrôlable, de l’avoir à mes côtés, et je songe que les choses seront plus faciles maintenant qu’il est voué à ma protection au sein des Larmes. Nous pourrons facilement expliquer nos compagnies répétées respectives. Peu à peu je prend de l’assurance… mais en aurais-je jamais autant que Sinwaess… j’en doute.



Xal Shilen sslig'ne udossa

Un domestique en livrée fit entrer Hecate dans le bureau de Sorsha, avant de refermer la porte. Elle connaissait les usages, aussi s’arrêta t-elle au centre de la pièce spacieuse, debout sur le tapis, la tête baissée, saluant son père d’une révérence marquée et des formules d’usage.
Sorsha ne leva pas la tête de son bureau tout de suite, finissant de ranger des parchemins. Puis il se leva, fit le tour de son bureau d’acajou et vint s’adosser à celui-ci, face à sa fille.

- Tu peux me regarder, ma fille.

Hecate leva alors les yeux sur son père. Ils se ressemblaient beaucoup : les mêmes yeux gris, les mêmes cheveux de neige. Sorsha arborait un air radieux.

- J’ai une merveilleuse nouvelle à t’annoncer.

Il marqua une pause, cherchant un effet sur le visage impassible de sa fille. Comme celui-ci ne venait pas, il poursuivit en croisant les bras :

- J’ai décidé que tu étais en âge de prendre un époux. Et j’ai fais mon choix.

Hecate cligna des yeux trois fois, ne parvenant à dissimuler sa stupeur que par un effort de concentration. Dignement, elle répondit :

- Bwael, mon Père, si c’est votre volonté.
- J’ai choisi le fils Vendar, Andhalyn. Tu le connais je crois. Poursuivit-il sur le ton de la conversation.

Hecate accusa le coup comme une gifle. Elle ne s’attendait pas à cela. Pourtant, tout ceci était d’une logique pénétrante. Son visage demeura sans expression.
Sorsha s’octroya alors une petite question, qu’il savait inutile :

- Cela te convient-il ?

Etrangement, Hecate se sentit comme insultée. Elle n’appréciait pas du tout que son père se permette de lui laisser croire qu’elle avait le choix. S’enhardissant alors, elle déclara, tout en fixant son père avec une rare insolence :

- Non.

L’effet produit fut celui attendu. Toute trace de sourire disparu du visage de Sorsha. Il sembla se redresser sous l’insulte, toisant sa progéniture du regard.

- Et pourquoi, petit idiote ?
- Parce que… je ne suis pas prête à me marier. Mentit Hecate.

Elle dut manquer d’aplomb, car Sorsha ne fut pas dupe. Hecate ne savait pas elle-même très bien pourquoi cette nouvelle la rendait de si mauvaise humeur. Elle avait dit cela au hasard… ou peut-être y avait-il une autre raison.
Sorsha eut un sourire torve.

- Oh je vois… mademoiselle aimerait profiter d’une amourette… Mais ne crois pas que je te laisserais me désobéir… à moins que ce monsieur ait mieux à me proposer ! Réponds !

Hecate garda le silence, toujours aussi droite, les yeux baissés. Plissant les yeux, Sorsha ajouta :

- Tu m’as beaucoup déçu, Hecate. Je n’ai pas l’habitude d’avoir ce genre d’ennui avec toi. Maintenant tourne toi.

Elle s’exécuta, tournant le dos à son père, sachant très bien ce qui l’attendait. Elle l’entendit se déplacer de cinq mètres sur la droite, décrocher quelque chose du mur. Il y eu un silence, où elle le sentit derrière elle, puis un sifflement, auquel succéda un claquement sourd.
Elle crispa les poings lorsque le fouet entama la chair de son dos. Elle se courba sous la douleur mais ne cria pas, tandis que le fouet claqua à trois reprises.
Lorsqu’il estima l’avoir assez punie, Sorsha s’exclama :

- Tu apprendras à m’obéir. Maintenant, vas t-en.

Quelques gouttes de sang avaient tâché le tapis. Hecate sorti, l’expression de la douleur sur son visage.

Hecate entra pour la seconde fois de la journée dans le bureau de son Père. Il avait l’air furieux. Lorsqu’elle s’avança vers lui, il commença par lui assener une grande gifle. Elle n’eut aucune réaction.

- Tu es vraiment idiote, ma pauvre enfant. A cause de toi, je risque fort de perdre l’amitié des Vendar. Si nous n’avions pas autant de rentes, je te saignerais, tant ton attitude nous mets dans l’embarras !!

Hecate ne disait rien, mortifiée.

- J’ai fais de ta sœur mon héritière, en espérant qu’elle ne me fasse pas une chose similaire. Tu m’as beaucoup déçu ! Je m’abaisse presque à la mésalliance ! J’espère qu’au moins tu feras fructifier cette alliance imprévue…

Elle hocha la tête sans rien dire, tandis que Sorsha arpentait la pièce, furieux. Il fit les cents pas pendant quelques longues minutes, puis s’arrêta. Il toisa sa fille.

- J’ose espérer que ce seul écart sera le dernier. Je ne tolèrerais pas un nouveau manquement.
- Siyo, mon Père.

D’un geste impatient, Sorsha congédia sa fille.

1er jour du 10ème mois :


Un mariage d’amour ?
J’étais furieuse et déconcertée. Furieuse contre moi-même, car de cette pulsion stupide que j’avais eue, j’avais mécontenté mon père, et perdu l’honneur qui me revenait en tant qu’héritière. Il avait réussi, dans son esprit pratique, à sauver la famille d’une trop grande mésalliance, mais ce n’était pas ce qu’il voulait.
J’étais furieuse également car j’étais certaine que la tentative de suicide de Naemia avait été causée par l’annonce de ce mariage, qui n’aura jamais lieu. J’essayais de la sauver du mieux que je pus pour expier en partie ce malheur…

Pourtant, jamais je n’aurais cru que Nhilana aie l’audace de demander audience à mon Père. Il semblait ne pas avoir apprécié les coups de fouet. Pourtant je les méritais. Ma sœur en a eu tant de fois par le passé… c’était mes premiers.
Je vais donc épouser Nhilana dans quelques temps, et heureusement pas dans l’immédiat. Pourtant, la raison du repoussement de cet hymen vient d’une phrase étrange dont je me rappelle encore :

« Je veux qu’il soit fait avec le plus grand amour qui soit. »

Je cherche encore ce que veux dire précisément le verbe aimer. Tout est si confus dans mon esprit… ma sœur ne peut, pour une fois, me fournir aucune réponse, et je ne me vois pas demander cela à mon Père… comment savoir ?
Pourtant, lorsque j’ai vu Andhalyn auprès de Naemia blessée, je l’ai ressentie, sa douleur, l’expression torturée de son visage… j’ai bien vu la terreur qu’il avait de la perdre, qu’elle ne soit plus là. Ca m’a fait de la peine. Oui, je me suis sentie mal à l’aise.

S’il arrivait la même chose à Nhilana, que ressentirais-je ? Aurais-je moi aussi ce déchirement de l’âme qui se voyait dans les yeux d’Andhalyn ? Crierais-je à l’aide d’une voix aussi déchirante ? Je cherche la réponse.

L’amour… un partage de l’âme ?


Xal Shilen sslig'ne udossa

4ème jour du 10ème mois :


La soirée avait été exténuante. Nous nous étions regroupés à l’entrée de ce manoir sinistre, au sommet d’une colline qui surplombait la forêt maudite. Nombre d’entre nous avions dégainés, peu rassurés par cette atmosphère sinistre.
La porte s’ouvrit seule, et un souffle de vent nous conduisit à travers les couloirs morts jusqu’à une salle vide, où nous attendait un fantôme. Certains d’entre nous semblaient le connaître, et il nous donna une mission : tuer un vampire puissant et nous ramener sa tête, dans laquelle nous aurions planté des dents d’autres vampires…

Puisque c’était notre devoir, nous partîmes au combat. Les vampires étaient nombreux et puissant. J’en anéantis deux à l’aide mes vortex longtemps travaillés, prenant soin d’arracher leurs canines avant que les corps ne tombent en poussière… mais alors que je me penchais pour ramasser la dernière paire, un autre vampire, sournoisement, me donna un coup de la crosse de son épée à l’arrière de la tête, me plongeant dans l’inconscience. Dans une demi obscurité, je le vis se pencher sur moi dans le dessein de me mordre, mais Sombrale, qui se tenait non loin de moi, l’abattit d’un rude coup d’épée. Son sang m’éclaboussa le visage.

Bientôt, nous eûmes collecté assez de canines, et nous nous hâtions vers un endroit plus dégagé, certains que le vampire ne tarderait pas à lancer sur nous son courroux. En effet, celui-ci lança l’assaut alors que nous grimpions la côte menant au manoir. Nous ripostâmes, certains de leurs lames, moi de mes arcanes, tentant de l’immobiliser dans les volutes de vent que je formais.
Nos efforts conjugués, nous parvînmes à l’abattre et à le décapiter. Nous nous occupions de maintenir son corps immobile tandis que la Tetrarch, aidée d’Andhalyn et de Sinwaess s’appliquaient à garnir la tête des canines ramassées. Deux d’entre nous avaient été mordues.

Au pas de course, nous regagnâmes le manoir, où il fallut une nouvelle fois conjuguer nos efforts pour l’anéantir une bonne fois pour toute. Joignant nos prières, le fantôme s’appropria nos énergies pour annihiler le vampire…. Puis il rejoignit Mère, sa mission terminée.
Beaucoup d’entre nous souffraient de blessures plus ou moins grave, et pour moi, d’une faiblesse généralisée. J’avais eu la chance de ne pas être blessée ni mordue.

Nous regagnâmes Gludio, et Nhilana me raccompagna à Nossta, où je désirais passer la nuit, dans mes appartements au manoir familial. Nous discutâmes un moment.

A ma grande surprise, il me parla d’amour. Il m’avoua avoir dit une telle chose à mon Père pour le convaincre de me laisser l’épouser, mais je savais pertinemment que cela n’aurait rien changé. La volonté de Sorsha était autre.
Mais comment savait-il que je ne l’aimais pas ? Sinwaess… j’étais sûre qu’elle l’avait laissé entendre sans y penser. Tant pis, au moins les choses étaient claires. Je lui demandais alors ce que lui-même ressentait.
Il me répondit avec un sourire qu’il tenait beaucoup à moi, et qu’il avait la volonté d’être patient. Il me demanda aussi ce que je ressentirais si je perdais ma sœur. Ma certitude est inébranlable : j’aime profondément ma sœur. Reste à savoir si je serais aussi effondrée de perdre Nhilana que je le serais de perdre Sinwaess…

Je ne sais trop pourquoi je le fis, mais je lui demandais de passer la nuit à mes côtés. Trop épuisée pour faire quoi que ce soit, j’avais juste envie de me reposer dans ses bras…

6ème jour du 10ème mois :


Quelle soirée ! Ah, ma sœur… je crois que je sais !
Lorsque hier nous nous sommes éclipsés… je lui ai montré la cascade où je me rend souvent… nous avons nagé un peu puis…
Ah, c’est tellement délicieux… jamais je n’ai ressenti pareille félicité. Je crois que j’ai compris enfin ce que ça voulait dire…. Cette envie irraisonnée d’être dans ses bras, ce magnétisme si puissant… je ne contrôle plus rien, Dieux que c’est agaçant !

Pourtant enivrant… je sais maintenant. On appelle ça l’amour, ce qu’on ne peut plus contrôler tant c’est puissant… jamais je n’ai connu sentiment qui me mettait plus hors de moi que celui-ci… c’est affreux de perdre ainsi tout contrôle. Je ne sais pas quoi faire pour le réprimer… peut-être devrais-je le laisser s’exprimer ? Ca hurle en moi, c’est insupportable, lorsqu’il est prêt de moi. Que faire ? Le dissimuler, ou le crier à la face du monde, au risque d’être ridicule ?

Attendre, attendre et voir. Observer. Hors de question qu’il aie une telle emprise sur moi… je ne dois pas laisser voir une faiblesse pareille… je ne veux pas finir comme Naemia. Je ne pourrais pas cacher cette faiblesse à ma sœur… mais elle a si souvent été complice de mes défaites… une de plus.

Hecate était monté au manoir des Min’Aka afin de remettre la main sur un ouvrage qu’elle savait se trouver dans la bibliothèque. Elle aimait à se trouver dans cette pièce, immense et toujours calme, contenant de rares ouvrages, la plupart rédigés par des membres anciens de la famille, dans des temps tout aussi antédiluviens.

Ce matin là, la bibliothèque du manoir était déserte, et Hecate alla s’installer dans un fauteuil avec son livre, qu’elle parcourait rapidement à la recherche d’une information.
Au bout de quelques longues minutes, elle s’aperçut qu’on l’observait. Elle leva alors le nez de son bouquin et avisa de sa mère, Arakhiel, qui se tenait debout à quelques mètres, la regardant. Hecate se leva alors, la saluant avec le respect qui lui était du.

- Reste donc assise, ma petite.

Joignant le geste à la parole, Arakhiel s’assit, dans un gracieux mouvement de hanche, qui souleva magnifiquement le rebord nacré de sa robe de soie fine. On complimentait souvent la mère d’Hecate pour sa très grande beauté et son charme vif, dont avait hérité Sinwaess, Hecate ayant hérité du charme discret mais efficace du père.
Arakhiel fixait sa fille de ses yeux verts sombre, l’air rieur. Hecate lui laissa prendre la parole.

- J’ai appris que tu allais te marier… avec un Inquisiteur par-dessus le marché… pour quand est-ce ?

Hecate secoua la tête, répondant par là même qu’elle n’en savait rien. Arakhiel eut un petit rire.

- Ton Père était vraiment furieux que tu aies refusé Andhalyn… tu as eu tord… c’est un si beau garçon. Si je n’avais pas autant de respect pour Belaufein… peut-être en aurais-je fais mon amant ?

Elle plaisantait mais Hecate fixa sa mère d’un air sévère. Celle-ci n’en rit que plus.

- Allons, déride toi… Sorsha m’a parlé de ton futur époux. Un sombre d’un certain âge, m’a-t-il dit. Quand il parle ainsi, c’est que le sombre est plus honorable que lui, donc plus vieux. On dirait que tu as ferré un gros poisson, ma fille… finalement, tu ne fais pas un si mauvais parti.

Hecate gardait les sourcils froncés, n’interrompant pas sa mère. Ses yeux exprimaient un certain agacement. Elle n’aimait pas vraiment, dans l’état actuel des choses, entendre parler de Nhilana comme d’un « gros poisson ». Sa mère le devina aisément.

- Quoi, tu ne l’épouses donc pas pour son argent ? Je t’avoues ma surprise lorsque j’ai appris qu’il était venu lui-même refuser ton mariage avec Andhalyn afin de proposer sa propre main. Serait-il donc amoureux de ma fille ?

A cette idée elle éclata de rire.

- Par Shilen, un mariage d’amour dans la famille, on aura rarement vu cela. Mais dis moi, ma fille, cet amour est-il à sens unique ?

Arakhiel fixa sa fille de son regard perçant, sondant en elle aussi facilement que si elle regardait à travers de l’eau très claire. Mais elle voulait l’entendre. Gardant le silence quelques instants, elle attendit une réponse. Hecate ouvrit la bouche, et, se tenant très droite, avoua :

- Non, Mère. Je crois bien que ce n’est pas à sens unique.

Elle avait rosit légèrement en disant cela, et Arakhiel prit l’air étonné.

- Vraiment ? Tu l’aimes donc ?

Hecate se contenta d’hocher la tête, regardant ailleurs. Arakhiel pouffa de rire.

- Ne sois pas embarrassée, ce n’est pas un crime, même si c’est… inhabituel. Je te souhaite d’être heureuse avec lui, si tu l’aimes. Tu n’auras pas besoin de sauver les apparences, cela te fera un souci de moins.

Se disant, elle se leva dans un mouvement félin. Laissant Hecate méditer sur ses paroles, elle s’en alla comme un fantôme, laissant derrière elle le nuage vaporeux de sa robe de soie. Hecate ne replongea dans son ouvrage que de très longues minutes plus tard.

14ème Jour du 10ème Mois


Je n’ai pas eu le temps d’écrire ces derniers temps, car il s’est passé beaucoup de choses. Tout d’abord, l’évènement dans la caverne avec le démon, qui m’a laissé sans force. Si Nhilana ne m’avait pas porté, je serais restée là-dedans.
Nous avons donc récupéré le dernier fragment de la carte.

Ma Mère est de nouveau grosse. Je ne sais trop quoi penser de cela, et me demande si Sorsha est bien son Père… enfin… je me garderais bien de faire part de ce doute, même à Sinwaess. Mère avait l’air plutôt satisfaite, dans sa missive, mais j’ai appris très tôt à ne pas me fier aux apparences.
De mon côté, j’ai changé d’affectation, ça y est. Me voici ordonnée Inquisitrice, après un entretien avec le général Dakara. Je m’efforcerais d’accomplir au mieux mes nouvelles fonctions, et j’ai commencé par éplucher les archives de la 6ème division afin de me documenter.

Hier soir, alors que je me tenais sur le parvis du temple, à Gludio, j’ai croisé Andhalyn et la Tetrarch. A un moment, le regard du fils Vendar s’illumina, ce qui ne m’échappa pas, et je posais mon regard sur sa main, que venait de saisir Aithe. J’en conçu dès lors un grand trouble. Loin de moi toute idée de jalousie, cependant je ne compris point. N’aimait-il pas Naemia ? Pourquoi donc tenait-il si tendrement la main d’une autre Sombre ?
Je songeais donc que la Tetrarch devait présenter un parti conséquent, et qu’il devait si plier, sur un possible ordre de son Père.
Cela dit, je continuais à part moi de plaindre Naemia, tout en songeant que jamais je ne me laisserais aveugler par mon amour de la sorte.

Oh, siyo, je suis amoureuse de Nhilana, je l’ai compris désormais. Mais je ne renierais jamais ma foi pour lui, et serais la première à exécuter le châtiment si jamais il venait à pêcher. J’ai trop d’estime pour lui pour le laisser s’égarer de la sorte. Fort heureusement, je sais bien que cela est impossible. Nhilana ne déviera point.
Je ne comprendrais jamais que l'amour puisse faire faire des choses aussi ridicules. Je parle ici de Sombrale, qui ignore un ordre direct et important pour faire évader celle qu'il prétend aimer, aggravant par là-même son cas. Ce n'est pas pour moi une preuve d'amour, au contraire.
Que Shilen me garde de ne jamais faire une chose pareille.


Xal Shilen sslig'ne udossa

16ème jour du 10ème mois


J’ai discuté avec Naemia aujourd’hui. Je voulais m’assurer de son intégrité et de la force de sa foi. Elle a prétendu que Ganossa lui avait ouvert les yeux, et je ne crois pas qu’elle mentait. Elle n’aurait certainement pas osé me tromper sur un personnage aussi important.
En ce qui concerne Aithe, elle a la même réaction qui aurait été la mienne : elle la respecte trop pour se permettre de lui en tenir rancœur. J’ai alors crains qu’elle ne veuille faire payer son affront à Andhalyn… mais ce n’est apparemment pas non plus son idée. La seule chose qu’elle m’a avoué craindre, c’est de ne pas savoir contrôler sa colère face à une sombre qui la défiait à chaque fois qu’elle la croisait.
Je dois dire que je n’approuve pas la conduite de Naemia, mais je la pense en bonne voie de rédemption, aussi je suis persuadée qu’il ne faut pas l’en détourner. Je m’interrogeais alors sur qui pouvait bien être cette personne qui l’a défiait.

Un peu plus tard dans la journée, je croisais Hamelin, qui n’avait pas l’air de très bien se porter. J’ai lu de la tristesse dans son regard. Sur ces entrefaites apparut Naemia, et Hamelin me demanda froidement : « De quel droit les hérétiques reviennent-ils ici ? » avant de s’en aller. Intriguée et voulant savoir si elle ne parlait pas de Naemia, je la suivit. J’étais convaincue qu’elle parlait de Naemia et j’en suis encore persuadée, bien qu’elle n’ait pas voulu me l’avouer. Je suis donc en mesure d’affirmer que celle qui défie Naemia est donc Hamelin.

La source de cette rivalité vient évidemment des actions passées de Naemia, qu’Hamelin n’approuve pas, et je suis forcée de lui donner raison. Seulement, Hamelin m’avoua être triste du fait qu’Andhalyn se soit détourné d’elle… j’y vis alors un autre problème.

Je suis bien heureuse de le connaître depuis de longues années !! Que Shilen me garde de ne jamais tomber dans ses filets… et Sinwaess non plus ! Je ne comprends pas son petit jeu avec Naemia et la Tetrarch. Nhilana dit qu’il prétend les aimer toutes deux, mais ce n’est pas possible.
Sur le moment, je n’ai pu m’empêcher de faire sentir à Andhalyn ma réprobation. Nous échangeâmes quelques murmures :

« Ce regard… me jugeriez vous ?
- Nau, Andhalyn. Je ne fais que des constatations. »

J’étais forcée de voir que le charme du fils Vendar faisait des ravages et détournait la foi de ces dames, bien que je ne comprisse pas comment cela était possible. Il me semblait qu’elles étaient bien faibles. Il me lança un sourire amusé :

« Je compte sur vous pour garder mes arrières.
- Ne faites pas trop de bêtises, car je ne serais pas toujours là pour réparer le mal derrière vous. »

J’eu malgré moi un sourire en voyant son air finaud. Puis il disparut en me lançant d’un air désinvolte :

« Mère m’a fait ainsi, moi et mes problèmes. »

Je compris qu’il parlait là de son charme et de sa façon de plaire aux femmes, et je secouais la tête en soupirant. Je rejoignis le temple, songeuse.



Xal Shilen sslig'ne udossa